La prostitution, une « sexualité toxique ». Les temps changent. Les dénonciations, par des femmes de plus en plus nombreuses, des violences sexistes et sexuelles qu’elles subissent, ont fini par ouvrir une brèche dont il y a seulement quelques décennies personne n’aurait osé rêver.
Le silence du fameux « qui ne dit mot consent », censé refléter leur véritable « nature », a volé en éclats. Aujourd’hui, elles sont encouragées à s’exprimer et à ne plus subir. De nouveaux conseils leur sont prodigués, censés leur permettre d’affirmer, chose longtemps impensable, leur propre désir. Des concepts neufs s’imposent dans le champ de la pensée : la « santé sexuelle », « état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en matière de sexualité », est devenue une valeur centrale.
Elle exige, nous explique-t-on, « une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles agréables et sécuritaires, sans coercition, ni discrimination ni violence. » La sexualité est clairement devenue une composante fondamentale du bien-être et de l’épanouissement individuel.
Des associations bien connues promouvant la santé et les droits des femmes n’ont donc pas de mots assez forts pour défendre « le droit de mener une vie sexuelle agréable, sûre et librement choisie ». Certaines, comme le Planning Familial, délivrent aux jeunes des conseils avisés : « une sexualité saine, c’est une sexualité où les partenaires s’écoutent, découvrent les limites de chacun et les respectent. » Une sexualité toxique, « c’est quand on n’est pas en accord avec ce qui se passe, avec ce qu’on fait », « quand on n’ose pas s’exprimer, proposer, ou contredire l’autre. »
Bref, les pratiques sexuelles « sont avant tout le fruit d’un désir, d’une excitation, d’une complicité et d’un consentement des partenaires. » Ce consentement doit être « enthousiaste » (faire quelque chose sans se sentir obligé·e), « donné librement » (sans manipulation ni culpabilisation ni humiliation ni pression), et « réversible » : « changer d’avis c’est possible à tout moment ! Ce n’est pas parce que tu en avais envie tout à l’heure que tu y es obligé·e maintenant (…) ».
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« Sexualité toxique » et « travail du sexe »
On ne peut qu’applaudir à ces affirmations et espérer qu’elles soient suivies d’effets. Mais comment comprendre alors que les mêmes soient bien souvent des adeptes du « travail du sexe » ? Qu’ils et elles combattent la responsabilité pénale des « clients » prostitueurs prévue par la loi du 13 avril 2016 ?
Il est pourtant évident que la scène prostitutionnelle est la pure négation de ces légitimes exigences contemporaines ; un anachronisme inséparable de situations de violences et de domination. Contredire le « client » ? Trop dangereux. Montrer son enthousiasme ? Impossible. Changer d’avis au bout de dix minutes ? Inenvisageable. Avoir du plaisir ? Hors de question. Le « client » a payé. Pour prétendre vivre sa sexualité, il a acheté le droit d’anéantir celle de la personne qu’il soumet.
Combien de temps encore faudra-t-il vivre avec ce hiatus ? Ces associations craindraient-elles de dénoncer une oppression quand certaines des opprimées semblent la défendre ? Ce n’est pourtant en rien leur faire affront.
Reconnaître leur vulnérabilité et les entraves qu’elles subissent n’est pas leur dénier la capacité d’agir. Les reconnaître comme victimes n’est pas les condamner à le rester. C’est au contraire un passage obligé pour reprendre du pouvoir sur leur vie. Comme le dit avec cohérence et constance le Mouvement du Nid en soutenant chaque année des centaines de personnes prostituées et en relayant leur parole, être contre la prostitution n’empêche en rien d’être à leurs côtés.
Site du ministère de la santé à propos de la santé sexuelle