C’est dans un contexte explosif que s’inscrit la révolte de Saint-Nizier en juin 1975 : Affaire de proxénétisme impliquant un haut gradé de la police en 1972, meurtres répétés de femmes prostituées à Lyon, harcèlement policier d’un côté, prise de parole des groupes minorisés de l’autre après mai 68…
Editorial
La Fronde, comme l’appelait alors le Mouvement du Nid, c’est d’abord un cri de révolte de femmes prostituées qui veulent enfin être reconnues comme des femmes, des mères, des êtres humains.
À l’occasion des 50 ans de la révolte, nous revenons dans ce numéro spécial sur ces décennies au cours desquelles le Mouvement du Nid a toujours été à leurs côtés : des débuts, à l’intérieur de Saint-Nizier, jusqu’aujourd’hui, avec la libération de la parole que constitue La Vie en Rouge, en passant par l’action de terrain de bénévoles et salarié·es engagé·es pour un monde où chacune peut avoir accès à ses droits fondamentaux.
50 ans après, qu’est-ce qui a changé ? Dans les mentalités, dans la loi, sur le terrain ?
En réalité, depuis lors, tout a changé et beaucoup découle encore de ce mouvement ; un événement bien plus large qu’une défense du « travail du sexe » à quoi voudrait le réduire la « journée mondiale des travailleur·ses du sexe » le 2 juin. Car à Saint-Nizier, la première des revendications portait sur l’abrogation de toute pénalisation. Or, cette abrogation, ce sont les abolitionnistes qui l’ont obtenue, avec les survivantes. Ce fut la loi du 13 avril 2016.
Saint-Nizier, c’est aussi l’émergence du sujet « prostitution » au sein du féminisme des années 1970, et l’apparition, déjà, d’une scission qui dure jusqu’à nos jours. Comme tout mouvement, ce fut aussi un lieu de contradictions. Élan spontané de femmes en lutte et dans le même temps révolte « autorisée » par le « milieu », comme on appelait alors le proxénétisme (voir actu rencontre). Mais l’essentiel était leur cri pour que l’État cesse de les harceler. Ce qu’elles voulaient par-dessus tout, pour la plupart,elles l’ont dit ensuite, c’était avoir la possibilité d’une autre vie, une vie « normale » ; donc une vie sans prostitution.
Une société sans prostitution, c’est ce qu’a défendu le Mouvement du Nid chaque jour, pendant ces 50 ans. En écho à la révolte, des survivantes, voix de La Vie en Rouge, ont largement participé à ce numéro exceptionnel. Avec enthousiasme, elles ont écrit, peint et tissé le lien avec les pionnières.
Aujourd’hui comme hier, elles sont notre boussole, qui nous oblige à lutter sans relâche contre tous les obstacles, vers une société libérée de la prostitution. Comme le dit Ambre dans la saison 2 de La Vie en Rouge sortie le 13 mai :
«Je voudrais vivre dans un monde où les hommes n’ont pas envie d’être « clients », ni proxénètes, où ça les répugne. Je n’ai pas envie de vivre dans un monde où ce soit si simple d’être achetée, d’être exploitée. J’espère qu’on ira vers une société, où ce sera moins facile et où les choses seront plus justes pour les victimes».