La condition prostituée

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L’approche sociologique attentive à la pratique concrète de la prostitution que propose Lilian Mathieu est certes intéressante. Il n’en reste pas moins qu’il évacue les causes essentielles qui fondent la prostitution…

Formes diverses de la sexualité vénale, modes d’exercice, conditions de vie, violence, évolutions du milieu, avec « La Condition prostituée » Lilian Mathieu, sociologue qui reprend d’anciens textes ici remaniés et actualisés, dresse un portrait de la prostitution, cet espace « mouvant » et « à faible cohésion et unification ».

Il rappelle le flou de la position française qui réprime racolage et proxénétisme tout en considérant que la prostitution relève de l’activité privée. Mais son propos est surtout d’inscrire la prostitution dans le champ économico-social : « La prostitution trouve sa place au cœur de la question sociale, (…) à l’entrecroisement des problématiques de la sexualité et de la précarité ».
Partant du principe que l’entrée ou le maintien dans le monde de la prostitution sont liés à la question de la subsistance économique, Lilian Mathieu fait une série de propositions : abrogation de la loi sur la toxicomanie, assouplissement des lois sur l’immigration, ou encore abaissement de l’âge minimum d’accès au RMI.

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Ce faisant, il se propose de dépasser le clivage entre abolitionnistes et « pro-prostitution » et renvoie les deux camps dos à dos en reprochant à leurs défenseurs d’ignorer la réalité du terrain.
Nous sommes certes d’accord avec Mathieu sur certains points importants : la difficulté de trancher entre la prostitution « libre » et « contrainte », les complexités de la notion de « traite », la déconnexion totale du réel des tenants de « la liberté de se prostituer », les propositions destinées à lutter contre la précarité pour les 18/25 ans[Lire également les [50 propositions du Mouvement du Nid.].

En revanche, ses accès de malhonnêteté sont inacceptables. Comme prévu, nous abolitionnistes sommes accusés d’être des « moralistes » et des « misérabilistes essentialistes ». Une fois pour toutes, notre position est jugée strictement morale et ignorante du réel : un réel que le Mouvement du Nid côtoie pourtant depuis sept décennies…. Pour nous discréditer, Mathieu ne recule pas devant l’énormité.

Ainsi, accuser les abolitionnistes de ne pas dénoncer la loi SarkozyLire par exemple le [communiqué du Mouvement du Nid d’automne 2003.] est un mensonge. Reprocher aux auteurs du livre « [Les clients de la prostitution, l’enquête] » de traiter les prostituées de « handicapées » en extrayant le mot de son contexte est, de la part d’un sociologue qui se targue, du haut de son Olympe, de ramener mesure et raison dans le débat, proprement scandaleux.

Quant au « racisme de classe » qui nous aurait conduits à mettre en cause les clients prostitueurs lors du Mondial de football, il prête franchement à rire. Que Lilian Mathieu sache que nous ne sommes pas snobs ! Que le « client » soit un petit supporter aviné ou un homme d’affaire en costume trois pièces nous indiffère. Ce que nous dénonçons, c’est une barbarie ordinaire, un mépris de l’autre que certains hommes se croient en droit d’exercer de toute éternité…

Notons au passage que Lilian Mathieu, quant à lui, se garde bien de toucher à ce sacro-saint « droit de l’homme ». En contournant et évacuant la dimension la plus centrale et la plus dérangeante du système prostitutionnel, reléguée sur les marges, il affiche sa position : ne pas toucher à ce droit du plus puissant de s’offrir l’asservissement sexuel du plus vulnérable, selon un schéma traditionnel qu’il nous permettra de trouver assez « moraliste ». C’est sur ce point que se joue notre opposition radicale.

Reconnaissons-le, l’approche sociologique attentive à la pratique concrète de la prostitution que propose Lilian Mathieu est certes intéressante. Il n’en reste pas moins qu’il évacue les causes essentielles qui fondent la prostitution, celles auxquelles s’attaquent les abolitionnistes en oeuvrant notamment pour une politique globale de prévention, aspect qu’il ne porte jamais à leur actif, pas plus que la dimension humaniste et progressiste de leur combat en faveur des plus fragilisés dans une société de plus en plus cynique, obsédée par la loi du profit.

Contrairement à ce que semble penser l’auteur, en matière de prostitution, la dimension sociale n’est pas suffisante ; la question du sens doit rester posée.