Loi du 13 avril : encore un effort pour la mise en route

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La loi du 13 avril 2016 visant à  renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à  accompagner les personnes prostituées reste à  traduire dans les faits. Élaborés en concertation avec les associations d’accueil des personnes prostituées, dont le Mouvement du Nid, les décrets d’application sont progressivement publiés. On peut espérer voir l’ensemble de ces outils fonctionner au début de l’année 2017…

On aurait presque oublié le volet social de la loi du 13 avril 2016 tant les médias ont porté une attention obsessionnelle à  la pénalisation des « clients », son aspect le plus inattendu dans un pays attaché au vieux droit sexuel masculin.

Or, le décret permettant la mise en œuvre du parcours de sortie de prostitution, pilier majeur de la loi, a bien été publié le 31 octobre 2016. Toute personne victime de prostitution, de proxénétisme et d’exploitation sexuelle pourra, selon ses termes, bénéficier d’un accompagnement et d’une prise en charge globale lui permettant de trouver des alternatives sociales et professionnelles à  la prostitution.

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Celles qui souhaiteront bénéficier des ces aides devront monter un dossier avec une des associations agréées : leurs engagements y seront consignés, de même que les actions prévues et les objectifs à  atteindre.

L’entrée dans le parcours sera soumise à  la validation d’une commission départementale placée sous l’autorité du préfet. Elle ouvrira droit à  une aide financière pour les personnes qui ne touchent pas les minima sociaux et, pour les personnes étrangères, à  l’obtention d’un titre de séjour d’au moins six mois leur permettant de travailler. Les actions d’insertion sociale seront facilitées, de même que l’accès au logement social et les soins médicaux et parcours de sortie sera d’une durée de six mois renouvelables, dans la limite de deux ans.

Auditionnée le 26 octobre 2016 par la Délégation aux droits des femmes et à  l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, la Ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes Laurence Rossignol a promis un dispositif de parcours de sortie opérationnel dès janvier 2017. Elle a mentionné que ce dispositif, abondé par un budget de 6,6 millions d’euros, sera grossi des recettes provenant de la confiscation des biens et produits des proxénètes et réseaux de traite des êtres humains.

Le décret d’application de la loi du 7 mars 2016 sur les

droits des étrangers

, également en date du 30 octobre, précise, pour l’application de la loi du 13 avril, les conditions de délivrance de l’autorisation de séjour à  la personne étrangère qui a été autorisé à  s’engager dans le parcours de sortie de la prostitution.

Le décret concernant les stages de

sensibilisation en direction des clients prostitueurs

, quant à  lui, est paru le 12 décembre 2016. Couplé avec les stages de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple ou sexistes, il indique que leur contenu doit permettre de rappeler au « client » interpellé ce que sont les réalités de la prostitution et les conséquences de la marchandisation du corps. Il vise également à  lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile pour les faits commis. 
Ces stages entrent dans la catégorie des stages de citoyenneté ; leurs modules de formation pourront être élaborés avec le concours des personnes publiques ou privées dont l’activité est d’assister ou d’aider les victimes de la prostitution.

Quelques interrogations, beaucoup d’espoir

 

Comme toujours, les critiques pleuvent, notamment pour la mise en œuvre des parcours de sortie. Pas assez ci, pas assez ça. Certes, rien n’est parfait. Mais l’entrée en vigueur de cette mesure sans précédent doit être saluée. Pour la première fois en France, doit être mis en place un parcours cohérent, coordonné, qui évitera aux associations d’accompagnement de continuer à  s’épuiser à  trouver les bons contacts, convaincre les acteurs sociaux et dénicher des expédients de dernière minute.

On peut espérer que s’enclenche une vraie dynamique d’autant que les Délégations régionales aux droits des femmes et à  l’égalité (DRDFE), chargées de mettre en place le dispositif au niveau local, semblent très motivées.
Reste bien entendu à  concrétiser ces excellentes décisions pour faire de l’abolition de la prostitution une réalité selon les mots de Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes.
Se pose ainsi aujourd’hui la question de la mise en œuvre concrète : quelles commissions ? Avec quelles associations[Un arrêté du 4 novembre 2016, paru au J.O le 23 novembre, explicite les conditions relatives à  l’agrément des associations concernées.] ? Quels moyens ? Quels outils ? Le temps presse… Car rien ne serait pire que de faire durer la situation actuelle : répression des clients prostitueurs[[Passibles, avec la nouvelle loi, d’une amende de 1 500 euros ; 3 750 en cas de récidive.]] (encore localisée) et donc diminution de leur nombre, mais absence de solutions spécifiques pour les personnes en situation de prostitution. Des délégations du Mouvement du Nid jugent leur position difficilement tenable : Nous avons encouragé les demandes de sortie, nous en recevons de plus en plus, et rien ne suit. Or, le déclic, c’est maintenant !
Certaines posent la question de l’après ; deux ans, elles sont bien placées pour le savoir, c’est parfois court pour une sortie de prostitution ; l’accompagnement peut rester nécessaire au delà . Beaucoup disent leur craintes quant aux moyens qui seront alloués : La proposition initiale était de 20 ou 24 millions d’euros et on en est à  6,6 millions dans le projet de lois de finances 2017.
Elles tiennent notamment à  la mise en œuvre d’un des volets majeurs de la loi, celui de la prévention, qu’il ne faudrait pas voir disparaître faute de financements… Reste à  espérer que les recettes provenant de la confiscation des biens et produits des proxénètes et réseaux de traite des êtres humains viendront grossir ce fond comme le texte le prévoit.

Décret santé : une base encourageante

Le décret sur la réduction des risques n’est pas encore paru à  l’heure où nous écrivons ces lignes. Mais le Mouvement du Nid se félicite d’un texte qui, au delà  des questions de santé physique et des maladies sexuellement transmissibles, prend désormais en compte la santé sociale et psychologique. Notre association est d’ailleurs intégrée au dispositif.
Le texte prend soin de souligner que ces actions de réduction des risques ne doivent en aucun cas aboutir à  une promotion de l’activité prostitutionnelle, ce qui a été le cas, comme on le sait, ces dernières décennies… La promotion du préservatif, louable pour éviter la transmission des IST et du VIH, était devenue le symbole du combat pour la reconnaissance du « métier ».

Diagnostics départementaux : enfin un début d’état des lieux

Comment avancer, apporter des réponses, sans connaître la réalité du terrain ? Face à  ce besoin fondamental, des diagnostics locaux commencent à  voir le jour. L’un, en Eure-et-Loir, a été confié à  la délégation du Loiret du Mouvement du Nid en 2015. Destiné à  identifier les besoins et à  élaborer un plan d’action, ce travail a permis de réaliser 54 entretiens auprès de 40 organismes potentiellement en contact avec des personnes en situation de prostitution ou auprès de personnes ressources. Un regret : aucune réponse n’est parvenue des établissements scolaires.
Au delà  de la prostitution visible, les infos recueillies font état de formes de prostitution cachée et régulière, y compris dans les quartiers et les zones rurales. Elles concernent des femmes, jeunes et adultes, en grande vulnérabilité économique, administrative ou psychologique. L’étude permet d’estimer que 250 à  300 personnes en sont victimes dans le département, dont un tiers de jeunes majeures et un quart de mineures ! Déscolarisées, exposées aux IST et aux IVG, ces toutes jeunes lles prennent des risques importants, aussi bien pour leur santé que pour leur place dans la société.
Au delà  des réseaux de traite, apparaît l’existence de réseaux de voisinage organisés par des dealers, et le proxénétisme de maris ou de conjoints.

Le diagnostic, inédit, met en exergue des manques et besoins criants : partenariat, coordination, structure relais, ici désespérément absents ; sans compter les actions de prévention inexistantes. Mais point encourageant, il a eu un grand impact dans une région où la question n’avait jamais été abordée à  cette échelle. 73 professionnel.le.s ont assisté aux restitutions en février 2016 à  la préfecture (procureur, Aide Sociale à  l’Enfance, etc.), ce qui peut laisser espérer des suites.

En Isère, l’Amicale du Nid a bénéficié de moyens plus importants. Elle a réalisé une photographie détaillée de la prostitution et des personnes concernées dans le département, sans toutefois prétendre quanti er le phénomène. Avec l’aide d’autres associations (Appart, Mouvement du Nid, etc.), elle a dressé un état des lieux de ses différentes formes, en perpétuelle mutation, une cartographie des lieux visibles (axe routier Grenoble/Lyon mais aussi zones rurales, du fait des arrêtés d’interdiction pris à  Lyon par exemple), une évaluation de la prostitution par smartphones et via Internet (Vivastreet, Facebook et réseaux sociaux), qui peut aussi cacher des organisations structurées de proxénètes ou de réseaux.

Le diagnostic montre une forte augmentation du nombre des personnes prostituées depuis 2008, visibles et non visibles, la prostitution non visible étant un sujet d’inquiétude pour la majorité des interlocuteurs. Le tournant s’est opéré au tournant de 2010 avec une accélération de l’implantation de femmes nigérianes, de plus en plus nombreuses, mais aussi roumaines (dont certaines très jeunes), encadrées par des proxénètes et trafiquants.

Le document apporte d’intéressantes données sur l’organisation de la prostitution des femmes étrangères mais aussi sur celle des jeunes : jeunes maghrébines dans les bars à  chichas ou les kebabs, jeunes filles qui pensent se faire des pigeons, étudiantes de plus en plus nombreuses dans les bars américains, avec des annonces parfois relayées par Pôle Emploi… Il explore les lieux à  haut risque prostitutionnel, salons de massage et autres clubs libertins dont le nombre est en pleine explosion.
L’Amicale du Nid 38 pose des questions d’importance, entre autres sur les modalités d’autorisation pour l’ouverture de « bars » dont la fonction est assez évidente, et sur le peu de contrôles opérés… D’une façon générale, elle dénonce l’absence de mesures fortes pour contrer les réseaux et pour décourager l’achat de sexe tarifé.

En Eure-et-Loir comme en Isère, le même constat s’impose : la gêne des professionnel.le.s de l’action sociale sur la question de la prostitution, leur sentiment de ne pas savoir comment s’y prendre, leur méconnaissance des situations à  risques. Les répondants manifestent un réel besoin de formation : éléments de compréhension, outils pour repérer et traiter la question de la prostitution.

D’autres diagnostics devraient voir le jour dans les mois et années qui viennent. Nous ne manquerons pas de nous en faire le relais…

Cet article est paru dans le [numéro 190 de notre revue,Prostitution et Société. Pour nous soutenir et nous permettre de continuer à  paraître, abonnez-vous!

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.