Que n’a-t-il été dit sur « La maison » d’Emma Becker, ce roman pour lequel l’autrice s’est « immergée » pendant deux ans dans une maison close allemande ? Si l’on lit bien le livre, on y trouve l’aveu de ce qu’il est vraiment, avant tout, un roman, loin de la réalité du système prostitueur.
Encensé par la critique, pour ses qualités littéraires (c’est plutôt bien écrit, mais ni mieux ni moins bien qu’un autre) le livre a donné lieu à une promotion inégalée et permet à l’autrice, partout interviewée, d’expliquer à quel point la prostitution a été émancipatrice pour elle. Mais, ce que personne n’a relevé, c’est ce qu’elle dit en réalité très bien de ce que le système prostitueur a d’intolérable pour les femmes qu’il broie. En effet, elle consacre plusieurs longs chapitres aux deux semaines qu’elle a passé au « Manège », bordel type, où il n’y avait vraiment pas matière à se réjouir, mais où l’on ressent bien la déshumanisation tant vécue dans le système prostitutionnel. Elle passe des pages et des pages à se réjouir de ne pas avoir fini là , d’avoir réussi, presque par miracle, dit-elle, à s’en échapper.
C’était une question de survie. Voilà ce qu’elle écrit, après son premier soir au « Manège » :« Car, en un soir, j’avais su tout ce qui a inspiré des ouvrages si tristes sur la prostitution. Et, par fierté, parce qu’il était hors de question que je ponde un bouquin naïf ou misérabiliste ou pis, un bouquin qui n’aurait effleuré qu’une facette de ce travail, je me suis persuadée qu’il y aurait quelque chose de beau ou de drôle à écrire, même s’il fallait racler le fond du fond. J’espérais que ma voix rendrait humaine la réalité de la prostitution – parce que les livres ont ce pouvoir – même si moi-même je me battais pour ce mensonge là ».
Pouvait-on imaginer plus bel aveu de ce que sont, dans leur immense majorité, les bordels du monde entier, au-delà de l’expérience singulière d’une personne singulière dans des conditions elles-mêmes atypiques ?
On rêverait que la critique, elle aussi, s’en soit rendu compte…