Procès Valérie Bacot : un tournant historique ?

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Procès Valérie Bacot : Analyse d’un procès hors-norme, qui a entraîné une vaste mobilisation pour Valérie Bacot, ressortie condamnée mais libre.

La France entière a eu, fin juin, les yeux tournés vers la cour d’assises de Châlons-sur-Saône, où Valérie Bacot, 40 ans, était jugée pour l’assassinat avec préméditation de son mari, Daniel Pollette. Elle encourait la perpétuité. Elle est ressortie condamnée, mais libre, de son procès. Pendant 25 ans, elle avait été victime, enfant puis adulte, d’un enfer de violences de la part de celui qu’elle a fini par tuer.

Valérie Bacot a été condamnée à quatre ans de prison dont trois avec sursis probatoire. Ayant déjà effectué un an de détention préventive, elle a donc pu ressortir libre de son procès.

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En effet, si elle a tué Daniel Pollette, de vingt ans son aîné, qui fut lorsqu’elle avait 12 ans son beau-père violeur-incestueur avant de devenir son mari violent, père de ses quatre enfants et prostitueur (voir notre article sur le récit qu’elle a publié de sa vie, (« tout le monde savait »), c’est pour se libérer de l’emprise de celui-ci.

Elle craignait alors que non content de l’avoir prostituée depuis quinze ans, il s’en prenne désormais à sa propre lle, Karline, qui à 14 ans devenait à son tour une proie marchandisable.

Un procès hors norme ?

Procès-Valerie-BacotL’ampleur de l’enfer vécu par Valérie Bacot, et le déroulement du procès, en ont fait un cas atypique. Peut-on pour autant dire qu’il est hors-norme, exceptionnel ?

D’une certaine façon, oui. Ainsi, il n’y avait aucune partie civile (à part celle désignée par la justice pour le plus jeune ls de Valérie Bacot) venue défendre la mémoire de Pollette, ni ses proches, ni ses enfants (même d’un autre mariage), ni ses ex-compagnes, ni sa famille.

Au contraire, tous et toutes ont défendu celle qui a mis fin à sa vie.

Toutes et tous l’ont décrit comme ultra-violent. C’est sa sœur, victime elle aussi de viol incestueux de Pollette et dont il a détruit la vie, qui l’a qualifié de « monstre ». Elle a même été jusqu’à dire qu’elle se félicitait du geste qu’elle n’avait pas osé commettre.

Ses ex-compagnes, ses enfants d’un premier mariage, les enfants de Valérie Bacot et lui, l’ont systématiquement décrit comme ultra-violent, et utilisant Valérie comme sa chose.

A contrario, Valérie Bacot a rapidement fait figure de martyre, ce qu’on peut comprendre vu l’ampleur des violences subies. Mais, dans l’imaginaire collectif, être une martyre a longtemps été la seule façon pour une femme de passer dans l’histoire (les martyres chrétiennes devenues des saintes), et la seule façon d’être « une bonne victime ». Il fallait aussi qu’elle soit passive.

Or ici, Valérie Bacot a justement mis fin elle-même aux violences. Ce qui en fait plutôt une héroïne qu’une martyre. Employer les termes de « monstre », « martyre », ne fait que dédouaner un peu plus une société qui s’est très bien accommodée pendant 25 ans de laisser Pollette briser la vie de femmes, d’hommes et d’enfants.

Un procès historique ?

Si bien sûr et heureusement, toutes les femmes victimes de violences ne vivent pas un enfer aussi extrême que celui qu’a vécu Valérie Bacot, le lier à la personnalité monstrueuse d’une seule personne, pas tout à fait humaine, permet d’occulter le caractère systémique des violences. Or, précisément, si l’on souhaite que ce procès devienne historique, il est indispensable que soit reconnu le fait que ces violences n’ont été possibles que parce que notre société patriarcale le veut bien et ne protège pas suffisamment les victimes.

Ce que le procès a aussi démontré, c’est en effet que « Tout le monde savait ». Tout le monde savait et rien, ou presque, n’a été fait pendant 25 ans.
Grâce à une dénonciation de Pollette par ses propres sœurs, celui-ci a tout de même été jugé et incarcéré pour le viol d’une enfant de 12 ans. Mais au lieu de le juger pour viol, les faits ont été correctionnalisés.

La peine a donc été légère, et il a pu ressortir et recommencer. Par ailleurs, personne ne s’est interrogé sur le fait que la mère de Valérie Bacot l’emmenait voir son beau-père au parloir, la poussait à lui écrire. Personne ne s’est opposé à ce qu’il puisse vivre à nouveau sous le toit de sa victime, encore mineure, lorsque la mère a « pardonné » et lui a rouvert sa porte.

Plus tard, lorsqu’elle a été enceinte de lui, qu’elle est partie vivre avec lui, qu’elle s’est mariée, personne ne s’est préoccupé de l’emprise dans laquelle elle pouvait être maintenue. À cet égard, la loi adoptée cette année qui pénalise l’inceste sur mineure, ne fait que renforcer une anomalie terrible du droit : la légalité en France de l’inceste sur majeur, sauf pour le mariage.

Or, comme Pollette n’était pas « beau-père » officiel, mais juste concubin de sa mère, cela ne l’a pas empêché d’épouser sa belle-fille (en France, l’inceste adulte n’est pas interdit par la loi, seul le mariage incestueux l’est).

Lorsque ses enfants ont voulu dénoncer les violences subies par leur mère à la gendarmerie (surveillée et terrorisée en permanence, elle n’a pas osé y aller), ils ont été renvoyés sans trace de leur passage. Le comble est que ce fait a été utilisé pour insinuer que cela n’aurait pas eu lieu, alors qu’on imagine mal la gendarmerie consigner qu’elle a refusé d’écouter des mineurs venus dénoncer des violences !

Enfin, les « clients » prostitueurs de Valérie Bacot, n’y en a-t-il aucun qui se soit rendu compte qu’elle était terrorisée ? Qu’elle n’avait aucune liberté de mouvement ? Qu’elle avait une oreillette par laquelle, non content de la surveiller et de la télécommander, Daniel Pollette assurait aussi son impunité (elle ne pouvait rien dire contre lui sans qu’il l’entende) mais, comme presque toujours, les « clients » ne voulaient rien savoir… Ils s’en fichaient.

La prostitution, un enfer quotidien pour des millions de femmes et d’enfants

La prostitution est aussi un élément à considérer dans cette affaire. Le Mouvement du Nid, en 80 ans d’expérience de terrain, a rencontré des dizaines de milliers de femmes prostituées. Et, comme l’écrivait l’association dans un communiqué à l’issue du procès, « le cas de Valérie Bacot, exceptionnel dans le degré d’emprise, ne l’est pas dans la stratégie des conjoints proxénètes, qui s’approprient entièrement des femmes. Si Daniel Pollette a été décrit comme un “monstre” lors du procès, il n’est malheureusement pas un cas isolé.

Dans notre expérience de terrain aux côtés des femmes victimes de violences prostitutionnelles, nous le constatons trop souvent : violences conjugales et prostitution- nelles extrêmes sont très souvent liées. La prostitution est une des violences que font subir à leur conjointe les hommes violents. » (…)

Malheureusement, alors que tous les médias ont parlé en long et en large de l’affaire, peu a été dit sur la prostitution durant le procès. Une fois de plus, cette violence extrême, et la responsabilité de ceux qui l’exercent, les prostitueurs, ont été passées sous silence.

À toutes les étapes de sa vie, alors que « tout le monde savait» qu’il se passait quelque chose de pas normal, personne n’a défendu Valérie Bacot. Pour cette raison, on pouvait défendre, comme une de ses avocates, la possibilité d’un acquittement. Mais dans l’état actuel du droit, et alors qu’elle avait été mise en examen pour assassinat avec préméditation, c’était sûrement un pas que la justice française n’était pas encore prête à franchir… la reconnaissance pleine et entière de la société de sa responsabilité dans les violences faites aux femmes, du viol par inceste à la prostitution et aux violences conjugales.

A lire également : Tout le monde savait, de Valérie Bacot