Les conséquences de la prostitution filmée pour la santé des femmes

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Prostitution filmée et santé des femmes. Pour la première fois, une étude scientifique en France quantifie les dégâts sanitaires de la participation à des vidéos pornographiques. Elle met en lumière des vulnérabilités psychosociales et la présence d’une psychopathologie sévère parmi les femmes ayant figuré dans des vidéos pornographiques. Il y a urgence à agir.

Les chercheuses Fabienne El Khoury (santé publique, Inserm), Véronique Héroin et Marion Fareng, ont récemment publié les résultats de leurs recherches, dans l’European Journal of Trauma & Dissociation[1].
L’étude, menée en partenariat avec Osez le féminisme! et le Mouvement du Nid auprès de 36 femmes ayant figuré au moins une fois dans une vidéo pornographique, analyse leur santé mentale et les conséquences physiques, sexuelles, mentales et sociales perçues.

Des résultats édifiants

Les résultats de l’étude sont éloquents, et le constat sans appel : les conséquences sont traumatisantes se répercutent à tous les niveaux, bien loin des fantasmes d’une participa- tion à des vidéos pornographiques libre et satisfaisante.

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83 % des répondantes ont participé à des productions pornographiques pour des raisons financières : difficultés à payer le loyer, peur de se retrouver sans abri et difficultés à subvenir aux besoins de leurs enfants.

64% ont déclaré y avoir été contraintes: plusieurs femmes ont raconté des cas de coercition ou de « manipulation », par un petit ami ou une connaissance en ligne qui décrivait les vidéos porno comme « amusantes » ou « glamour ».

Deux femmes ont cité l’automutilation comme raison de leur participation, et deux autres ont déclaré avoir été filmées à leur insu. Comme dans le système prostitueur, le préalable à la participation à de la prostitution filmée semble en grande partie reposer sur le fait d’avoir été victime de violences sexuelles antérieures.

Ainsi, 78 % des femmes ont révélé avoir subi des violences sexuelles dans leur vie, et la quasi-totalité d’entre elles (92 % – toutes sauf 3) ont été victimes de violences sexuelles et/ou d’un événement traumatique avant de tourner une vidéo pornographique.

Vulnérabilités multiples

Les mêmes facteurs d’entrée (violences physiques, sexuelles), aggravants (précarité) et déclencheurs (rencontre avec le « milieu », menaces ou coercitions) se retrouvent dans le système pornocriminel. Un véritable parcours de violences multiples, qui vulnérabilise, que les proxénètes et « producteurs » exploitent sciemment.

Dans une étude sur l’expérience des femmes dans la production porno- graphique réalisée en Suède, le chercheur émet l’hypothèse que « de multiples vulnérabilités conduisent finalement à un manque de pouvoir de négociation », ce qui explique que « les femmes risquent d’être contraintes à performer physique- ment des actes psychologiquement dangereux dans la pornographie » (Donevan, 2021).

Et l’impact est délétère pour les femmes figurant dans ces vidéos : toutes les participantes ont signalé au moins un effet négatif. Isolement social (la moitié ont perdu leur emploi, la moitié également ont déménagé), détérioration de leur santé mentale, et cyberintimi- dation pour 75 % d’entre elles : des conséquences dévastatrices pour des femmes qui se retrouvent polyvictimisées, sur le long terme.

70 % ont déclaré avoir subi au moins une conséquence physique (lésions vaginales, problèmes sexuels, infections). Elles ont aussi spontanément rapporté des effets psychologiques : troubles de l’alimentation, troubles du sommeil, anxiété, dépression et pensées suicidaires.

Plus particulièrement 83 % présentaient des symptômes de stress post-traumatique, et pour 53 % d’entre elles, plus de la moitié donc, les résultats indiquaient une poten- tielle dépression sévère. Et comme (très) souvent, tel qu’on le constate dans nos nombreux accompagnements sur le terrain, de personnes prostituées et de survivantes, 64 % des répondantes prennent des médicaments pour dormir.

Une étude qui vient confirmer les connaissances

Les violences sexuelles et physiques sont largement reconnues dans la prostitution filmée (comme le rapport du Sénat, « Porno : l’enfer du décor », le démontrait en 2022 : 90 % des contenus pornographiques comportent de la violence) : les vidéos mettent souvent en scène des actes de violences (agressions physiques, gifles ou étouffement), mais aussi des scènes de viol et de torture, clairement dirigées contre les femmes.

Plusieurs études ont également examiné les conditions potentiellement traumatisantes dans lesquelles les tournages sont réalisés, avec des rapports sexuels « douloureux, bizarres et alcoolisés », subis dans un état de dissociation.

Pourtant les effets de ces violences sur les femmes qui en sont victimes restaient rarement documentés. À ce jour, seulement trois études dans le monde abordent leur santé mentale.
Une enquête du journal Le Monde avait déjà mis en évidence les conséquences néfastes de la figuration dans des vidéos pornographiques, avec des cas de cyberharcèlement et d’agressions réelles post diffusion (Lorraine de Foucher, 2023). Une des victimes a d’ailleurs affirmé qu’« un viol mis en ligne est un meurtre social ».

L’urgence d’agir

Il y a donc urgence à agir. Les pouvoirs publics doivent se saisir du sujet – une future grande cause nationale portant sur la santé mentale doit considérer les personnes les plus vulnérables.
Les chercheuses appellent quant à elles à ce que des études à grande échelle soient menées, pour étayer ces résultats et mieux comprendre l’ampleur du problème, ainsi que pour optimiser les interventions de soins.

BON À SAVOIR

Les 36 femmes interrogées ont répondu à une enquête en ligne. L’étude leur avait été proposée par des psychologues travaillant en collaboration avec des groupes de soutien de femmes victimes de prostitution filmée. Une fois qu’elles acceptaient d’y répondre, l’équipe de recherche leur envoyait un lien vers l’enquête.

Elles ont toutes participé au moins une fois à une vidéo pornographique (la moyenne étant d’une à 4 participations), et avaient révélé avoir été victimes de violences durant cette participation. Elles ont en moyenne 31 ans, l’âge médian d’une première participation à une vidéo étant de 21 ans. La majorité sont françaises. Enfin, la moitié ont des enfants.

Retrouvez l’étude complète ici : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2468749924001054?via%3Dihub

3 questions à Fabienne KHOURY, chercheuse à l’INSERM

Fabienne KhouryPourquoi cette enquête ?

En tant que chercheuse, j’étudie l’effet des violences sexuelles sur la santé mentale. Je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas de littérature scientifique sur femmes victimes de l’industrie pornographiques, alors qu’il apparaît que les « conditions de tournage » sont très violentes, plusieurs cas médiatisés notamment montraient les violences extrêmes subies. Je voulais aussi que cette étude puisse inciter d’autres à se pencher sur le sujet.

Comment as-tu procédé ?

J’étais en lien avec des associations qui accompagnent les femmes concernées, notamment le Mouvement du Nid et Osez le féminisme!, qui m’ont mise en contact avec des thérapeutes qui accompagnent les victimes. J’ai monté un protocole d’étude validé par un comité d’éthique. Les thérapeutes ont fait passer les questionnaires.

Quelles sont les conclusions de l’étude ?

J’ai personnellement été impressionnée par le fait que près de 80 % des participantes avaient subi des violences sexuelles avant même leur participation à des vidéos pornographiques. L’autre point majeur, c’est le score très élevé de syndrome de stress post traumatique et de dissociation. Je n’ai jamais vu des taux aussi élevés que ça. D’un point de vue de santé publique, la santé mentale de ces victimes reste pourtant un angle mort, alors qu’elles ont besoin de soins ! Les décideurs et décideuses doivent agir pour renforcer cet accès aux soins et pour prévenir la survenue de ces traumatismes.