Paolo : De l’argent, j’en avais pourtant.

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Je ne retournerai dans la prostitution que dans le pire des cas. Le piège quand on bascule là-dedans, c’est de s’y enfermer ; d’être dépendant de l’argent qui tombe tout de suite.

Longtemps, je ne me suis pas assumé en tant qu’homosexuel. Je sortais avec des filles, je me racontais qu’un jour je me marierais ; il y en a qui le font, ils se marient et ils sont malheureux.

J’ai commencé à rencontrer des garçons par réseau téléphonique pour des « plans cul » : des numéros en 0 800 qui permettent des rencontres homosexuelles en direct. J’utilisais beaucoup ces réseaux depuis des cabines. Ca me coùtait très cher. De 18 à 20 ans, j’appelais, j’écoutais les messages et je raccrochais. Les garçons ne cherchaient pas à rencontrer quelqu’un pour une relation ; c’était seulement sexuel.

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Un jour, il y en a un qui m’a proposé de l’argent. Il employait le mot « louer » : je loue des gars. Au début j’ai refusé. Le type était âgé et l’effet de surprise a fait que j’ai décliné. Et puis un jour j’ai accepté ; la personne devait me convenir. De l’argent, j’en avais pourtant. En plus, j’habitais chez mes parents. Tout s’est passé très vite. Je n’en ai que de vagues souvenirs. J’avais 21 ans et j’étais étudiant. À l’époque, il y a six ans, ça représentait 250 à 300 francs. On donnait un faux prénom, moi j’en choisissais un qui ne correspondait à personne de connu. Quand je partais à un rendez-vous, qu’il y ait argent ou pas, je mettais toujours le numéro de téléphone du gars dans une enveloppe dans la boîte aux lettres de mes parents. Par prudence. Je n’ai jamais rencontré deux fois la même personne. Sauf un que j’ai vu plusieurs fois.

J’ai arrêté. Aujourd’hui, je suis avec quelqu’un. Alexandre a 22 ans et je suis très heureux. Il n’y a que ses amis à savoir qu’il est homosexuel. C’est dur, je ne peux pas le prendre dans mes bras alors que j’en ai envie. Moi, je ne me suis assumé qu’à 24 ans. Mes parents l’ont su, j’en avais 25.

La différence entre les rencontres payantes et non payantes, c’est qu’avec l’argent, j’y allais à reculons. Je mettais des barrières. J’acceptais de me faire payer par un homme de 60 ans beaucoup moins attirant que quelqu’un de mon âge. Il y avait aussi des choses que je ne faisais pas, embrasser par exemple. Je me positionnais comme une femme : j’attendais que le type jouisse et qu’il s’en aille. Beaucoup de ces hommes étaient âgés. Ils sacrifiaient quelque chose pour se payer un jeune. Il y avait des négociations. Beaucoup étaient prêts à payer plus. Je voyais ces hommes dans des appartements. Avant de monter dans les voitures, j’apprenais par cœur les plaques d’immatriculation.

Je suis parti de chez mes parents avant mes 22 ans. J’étais étudiant et j’avais un boulot à mi-temps. J’avais peur de ne pas y arriver financièrement. Je ne faisais pas la démarche d’aller vers les hommes qui payent mais en moyenne, disons qu’un homme sur vingt me proposait de l’argent. Mes critères étaient l’âge, la description physique, le lieu d’habitation. Pour moi, la voix est plus importante que l’image. Elle reflète davantage le caractère. En tout, une quinzaine d’hommes m’ont payé. Une douzaine par téléphone, puis trois par Internet.

Peu à peu, je suis passé à 70 euros. J’avais de moins en moins peur, je devenais plus dur à la négociation. Au début, je claquais tout en vêtements, après j’ai commencé à payer mon loyer avec cet argent. Il y a eu une période où on m’a proposé jusqu’à 200 euros. J’étais en train de rompre avec mon petit ami de l’époque. Je suis allé à Paris, capitale de la tentation… À Paris, je me suis dit, je m’en fous, ce n’est qu’un corps.

Ce que j’ai fait, est-ce que c’était de la prostitution ? Personne ne m’a contraint. J’étais étudiant, pas en marge. Je ne me sentais pas du tout prostitué. Le faire, c’était chiant. Mais quand j’ai eu des galères d’argent, j’ai fait des calculs, ça m’a retraversé l’esprit. Aujourd’hui, je suis amoureux, je m’assume, je sais qui je suis. Avant, je ne connaissais de l’homosexualité que le côté sexuel, rien d’autre. Maintenant que j’ai une vraie relation avec quelqu’un, les plans cul, ça me dégoûte, même sans argent.

J’ai fait installer Internet et je me suis mis à discuter pendant des nuits entières, sept ou huit heures non stop. Très vite, on m’a proposé du sexe. J’ai mis ma photo. Je plais aux homos. Au début je refusais. Et puis avec mon copain du moment, ça s’est mis à aller moins bien. On me proposait 100 ou 150 euros. J’ai dit oui à un gars. Le troisième m’a même payé 200 euros ; je l’ai rencontré plusieurs fois. C’était un médecin qui voyageait beaucoup. A 100 euros, j’ai refusé, à 150 j’ai refusé. A 200, j’ai commencé à réfléchir. Après, il m’a dit qu’il était prêt à monter à 500. Je gagnais 1000 euros à l’époque. Le problème, c’est qu’il voulait qu’on s’embrasse. C’est pour ça que j’ai refusé au début ; ça me dégoûtait.

(…)

Me faire payer ? Je n’aimerais pas le refaire mais j’en serais capable. Je suis un bon acteur entre guillemets. Je ne dis pas que je n’y repense pas ; ça fait partie de mon histoire. Mais aujourd’hui, je n’en ai pas envie ; ça me dégoûte plus qu’avant. Même si j’étais dans un moment fragile, il me semble que je ne le referais pas. J’irais d’abord voir une assistante sociale. Ce qui me freinerait, c’est mon corps. Avant, je m’en fichais. J’en suis à ma troisième relation sérieuse et je me rends compte que mon corps est associé à ce qui se passe dans ma tête. J’ai mùri. Avant, je prenais du plaisir avec les plans cul. Ce que je vis maintenant, c’est tellement plus !

(…)

J’ai un pincement au cœur quand je passe près des prostituées femmes. Quand je les vois, je me dis que moi j’avais le choix. Je n’étais pas dans l’obligation, je n’avais pas d’enfants à nourrir. Au fond, je me dis qu’on n’est qu’un corps. L’amour, c’est dans la tête. Je refusais la sodomie et je me lavais après. Je m’isolais en moi-même. C’est dur mais j’y arrivais. C’était mécanique. Il faut être le plus loin possible. C’était plus facile quand c’était l’autre qui faisait une fellation. Sinon, c’était moi qui étais obligé de m’approcher. Selon que l’on est actif ou passif, l’investissement est différent. J’ai appris à simuler, à exciter le type pour que ça finisse plus vite. Il faut se mettre à distance et en même temps être là et faire semblant d’apprécier. C’était un rôle. Après, je me lavais, mes fringues, je les mettais au sale, il fallait que j’efface tout.

La prostitution masculine est difficilement mesurable. Elle a surtout lieu par Internet. Elle est très cachée, comme l’homosexualité elle-même.

Je ne retournerai dans la prostitution que dans le pire des cas. Le piège quand on bascule là-dedans, c’est de s’y enfermer ; d’être dépendant de l’argent qui tombe tout de suite. On est de plus en plus menés par la télé et par l’argent. Le pouvoir qu’on a sur les gens, c’est par l’argent.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.