Nous ne voulons pas que les « clients » soient impunis, nous qui avons connu la prostitution et en sommes sorties

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Une dizaine de survivantes de la prostitution se sont mobilisées pour écrire un texte exceptionnel expliquant pourquoi, selon elles, il ne faut pas que la pénalisation des « clients » soit abrogée.

Quatre d’entre elles, Rosen, Maité, Pascale et Anne, on lu leur texte après avoir rendu hommage aux personnes prostituées assassinées devant le Square Louise Michel, le 17 janvier à  Paris.

Nous sommes Rosen, Sarah, Anne, Grace, Maïté, Pascale, Samantha et Rachel. Mais aussi Hilde, Laetitia et Mercy. Nous avons toutes été les victimes du système prostitutionnel sous une de ses formes. Victimes de pédocriminels ou de proxénètes frauduleux ou d’une société hypersexuelle à  outrance.

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Nous avons été traquées par des prédateurs, violées, chosifiées, réduites au silence par la honte. Nous avons été les proies de réseaux pédocriminels ou de nos propres parents. Des femmes mais souvent aussi d’abord des es enfants, premières victimes de l’industrie du sexe tarifé.

Nous, qui avons connu la prostitution et en sommes sorties, nous demandons donc le maintien de la pénalisation des « clients », au nom de tous ces enfants abusés, de ces adolescentes violées et de ces femmes contraintes.

L’argent, une contrainte

L’argent est une contrainte qui permet au client d’assurer son impunité, qui justifie et excuse cette violence inhérente à  la prostitution. La pénalisation du « client » est un garde-fou pour nos enfants et évite qu’un être humain soit assimilé à  une marchandise. Une société qui déciderait d’œuvrer pour faciliter la vente du corps, donc d’êtres humains, ferait un pas en arrière après l’abolition de l’esclavage. Ne faisons pas marche arrière !

Dans un Etat de droit, les lois sont instaurées dans le but de défendre la majorité et d’en protéger la dignité morale et physique. Prêt de 90% des personnes prostituées le sont sous la contrainte. Un parcours prostitutionnel est entamé en moyenne dès l’âge de 14 ans. Ces femmes et trop jeunes filles constituent un public cible, affaibli et désarmé. Notre société se doit de les défendre.

Entre les séances d’abattage physique consistant à  pratiquer le viol répété sur une femme dans le but de briser sa volonté et les approches méthodiques de manipulation perverse des loverboys, est-il juste de parler de consentement mutuel à  une passe tarifée, lorsqu’une majorité à  été conditionnée au préalable à  se diriger vers ce « choix » qui n’est rien de plus qu’un choix contraint ?

« clients » violents

Les « clients » friands de sexe tarifé estiment que la « putain » est l’équivalent d’un trou noir, absorbant toutes leurs frustrations. Cette logique mène les « acheteurs » à  formuler des demandes de pratiques sexuelles dégradantes, douloureuses, sadiques et inimaginables. Certaines femmes sont battues, brulées, ligotées, humiliées, menacées de mort ou dressées par leur souteneur.

La prostitution n’est pas un service public utile, c’est la vente de la souffrance psychique, économique et morale d’un grand nombre d’êtres vivants. Les domaines de l’aide à  l’enfance sont excessivement mal outillés et demeurent malheureusement de véritables viviers pour les prédateurs en recherche de victimes possédant des failles émotionnelles exploitables. Les enfants sont prostitués sous le silence complice des instances. Il en va de même d’ONG humanitaires qui utilisent les dysfonctionnements de leur système à  des fins d’exploitation sexuelle.

Face à  cette situation, ré-autoriser le « droit des hommes » à  disposer des femmes contre de l’argent, ce serait envoyer un message limpide aux proxénètes et aux trafiquants : les femmes et les enfants sont des produits consommables.

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Marchandisation des corps et violence sont indissociables. La brutalité se situe déjà  lorsqu’un rapport qui n’aurait jamais eu lieu sans échange d’argent se produit. Billets de banque et pièces de monnaies se métamorphosent en permis de prendre possession de l’autre. Notre société de la marchandisation exacerbée permet au « client », en tant que consommateur de voir son impunité perdurer. Et puisque la femme et l’enfant sont réduits à  des objets et qu’un grille pain n’a pas son mot à  dire, elles n’ont plus voix au chapitre !

Liberté d’entreprendre ?

Certaines femmes défendent les capacités d’action individuelle des sujets. Elles pensent défendre une liberté d’entreprendre, dont elles ne jouissent même pas, et vantent les mérites d’une machinerie qui profite à  d’autres. Sur la rive opposée, nous mettons l’accent sur le poids des structures ou des constructions sociétales, qui amoindrissent les possibilités de choix individuels. N’oublions pas que la liberté s’arrête là  où démarre celle d’autrui. La liberté d’entreprendre ne peut être invoquée dès lors que la marchandisation des corps sert un système qui fait fi des droits humains, des droits des enfants.

Crime organisé

L’exploitation des êtres humains à  des fins sexuelles, reconnue comme étant une violence spécifique à  l’encontre des femmes par la Convention d’Istanbul[Dans son article 3, ratifié par la France.], est incontestablement l’une des principales sources de revenus du crime organisé mondial. En outre, la traite sexuelle alimente d’autres formes de crime organisé. Les proxénètes témoignent eux mêmes du fait que là  où la prostitution est acceptée sans entraves ni contrainte, ils sont rois. Comme les « clients ».

Aujourd’hui, avec la loi du 13 avril 2016, la responsabilisation des « clients » porte ses fruits. Les stages clients sont efficaces. Les hommes qui y participent écoutent les survivantes avec attention. Quelques-uns pleurent, d’autres demandent pardon, imaginant enfin toutes les souffrances infligées. La pénalisation du « client » prostitueur est une partie indissociable de la politique de lutte contre la prostitution initiée dans les pays nordiques, qui ont compris, qu’à  l’instar du meurtre, acheter un acte prostitutionnel doit être sanctionné, la pratique des femmes totalement décriminalisée, et qu’elles doivent être aidées à  en sortir.

 

Les survivantes Maité, Pascale, Rosen, Anne demandent au Conseil constitutionnel de ne pas abroger la pénalisation des « clients »
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Photos Sandrine Goldschmidt, Céline Piques