Pierre Olive-Esséric, psychiatre

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La misère sexuelle est une excuse ; il s’agit en réalité de misère relationnelle…

– Qu’en est-il selon vous de l’instinct, des pulsions des hommes ?

L’instinct fait référence à quelque chose de biologique. L’araignée tisse sa toile, personne ne le lui a appris, c’est biologique. Le désir sexuel, ce n’est pas ça : chez l’humain, il y a un apprentissage de la sexualité. Pour établir une relation harmonieuse avec l’autre, il faut avoir appris. Or, bien souvent, les hommes n’ont pas les clés, ils n’ont pas appris. Ils n’ont de la sexualité que la dimension masturbatoire et ignorent tout de la sexualité relationnelle, tournée vers l’autre.

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Pour moi, le recours aux prostituées tient plus de l’attitude compulsive que du besoin irrépressible. Ces fameuses pulsions qui seraient l’effet de la nature sont dans la tête. Il s’agit pour ces hommes de se réassurer sur eux-mêmes. En fait, ils s’enferment dans un cercle vicieux, entretenu par tout l’imaginaire du milieu de la prostitution, son côté glauque, qui renchérit sur leurs fantasmes.

– L’un des arguments avancés pour justifier la prostitution est sa nécessité pour les hommes isolés ou pour les handicapés. Qu’en pensez-vous ?

On invoque en effet la misère sexuelle, les hommes isolés ou marginalisés. Or, parmi les plus marginalisés, des couples se constituent, avec une vraie relation affective. En tant qu’expert pour la Cotorep, je rencontre régulièrement des jeunes gens handicapés, avec la sclérose en plaques, ou des paraplégiques en fauteuil qui ont une compagne tout à fait épanouie et une vie amoureuse harmonieuse. Evidemment, tous ne sont pas capables de cela. Mais la notion de handicap est très relative. Parmi les handicapés, il y a ceux qui jettent l’éponge et ceux qui rebondissent.

Etre client n’est pas une question de handicap. Les hommes qui y ont recours sont surtout des handicapés de la relation, et notamment de la relation homme/femme. La misère sexuelle est une excuse ; il s’agit en réalité de misère relationnelle.

– Autre justification, la prostituée comme thérapeute du sexe…

Je ne crois pas à la prostituée thérapeutique. Les hommes qui croient cela choisissent la solution de facilité ; pas la solution d’efficacité. Je n’ai jamais vu un homme me dire qu’il avait résolu ses problèmes grâce aux prostituées. N’oublions pas la mauvaise image de soi, la culpabilité qui accompagnent le recours aux prostituées. Les hommes sont renvoyés à leur propre déficience.

En fait, la prostituée est vécue comme une personne à qui l’on peut s’adresser facilement au lieu de faire une démarche beaucoup plus difficile vers la femme, qui est vécue comme une extra-terrestre dont on ne connaît ni le langage ni les codes. Un certain nombre d’hommes, à l’aise et brillants par ailleurs, ont peur des femmes. Ils parviennent parfois à l’exprimer, douloureusement, et à dire leur incompréhension ; les femmes, c’est trop compliqué. Je pense que, plus largement, ils ont peur de l’autre, et que la culture, les mythes qui entourent la femme les poussent à avoir une peur plus grande encore. Cette peur peut engendrer de l’agressivité ; du coup, ils ont des difficultés sexuelles. Ils croient alors que la prostitution leur est utile parce qu’il n’y a pas d’investissement de leur part. La prostituée leur permet de croire, sur un plan fantasmatique, qu’une excitation supplémentaire leur permettrait de s’en sortir. A tort.

Beaucoup de clients accusent leur femme. C’est à cause d’elle qu’ils vont voir les prostituées.
J’entends beaucoup ces plaintes ; ma femme n’a pas envie, ça ne l’intéresse plus. Eux souffrent de ne plus avoir de stimulant et manquent de passage à l’acte. Beaucoup ne vont pas voir de prostituées pour autant… Mais derrière cette plainte, il y a parfois autre chose : l’incapacité de certains hommes d’admettre que leur femme puisse réaliser certains actes. C’est bien eux qui s’interdisent de les initier ou de les demander parce qu’ils séparent toujours la sainte et la putain. La aussi, il s’agit bien souvent d’un faux argument.

L’ensemble des arguments des clients me semble surtout tenir de l’alibi, de la justification. Recourir aux prostituées, c’est aussi un bilan d’échec. Ils savent bien, ces hommes, que sur le plan sexuel comme sur le plan relationnel, ça ne vole pas haut avec une prostituée.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.