Publié en 2022 dans la presse, le témoignage de Bao est devenu un livre bouleversant. Son récit montre avec précision le piège et l’engrenage qui mènent à l’esclavage sexuel d’une mineure, aujourd’hui en France.
Le récit commence par la fin. Avant de se voir mourir, abandonnée par ceux qui l’ont exploitée jusqu’à la détresse ultime, elle constate : « on se croirait dans un marché aux bestiaux, mais quelque part je suis soulagée que Karl veuille se débarrasser de moi. Je suis down de chez down, ma carcasse me lâche et il n’y a plus de cocaïne pour me rebooster ». La laissant pour morte dans la rue, ce Karl, son proxénète, a déjà essayé une première fois de la refiler à un autre parce qu’elle ne rapportait plus suffisamment.
À 16 ans, elle « ne valait plus rien ».
Après des semaines d’hôpital et des années de réflexion, Bao est parvenue à se reconstruire et à raconter son histoire. À la recherche des raisons qui l’ont amenée à « consentir » à la prostitution à 16 ans, elle revient sur son enfance. Fille d’immigrés tamouls du Sri Lanka, elle a été victime de viol à 5 ans par un «ami» de la famille. À son retour chez elle, sa mère a bien vu les traces de sang dans sa culotte mais n’a rien trouvé à dire sinon « qu’as-tu fait » ?
Son enfance est une litanie de souffrances et de violences. À 6 ans, on lui diagnostique un diabète de type 1. À l’école, elle se sent inadaptée. Sa seule passion, le dessin. Plus tard, au collège, elle est harcelée parce que « Bolos, t’as vu ton style, c’est n’importe nawak, tu t’es crue dans un manga». Alors, elle décide d’adopter des tenues sexy, «sans trop savoir pourquoi». Parallèlement, elle s’auto-mutile. Vers 12 ans, cauchemars et crises d’angoisse la laissent prostrée. À une infirmière du collège, elle parvient, lors d’une levée soudaine d’amnésie, à parler du viol qu’elle a subi à 5 ans.
Interrogée par la brigade des mineurs, hésitante sur la chronologie des faits (elle avait 5 ans !) et soupçonnée de mensonge, elle s’entend dire : « tu as conscience que ce que tu dis est grave ? » L’affaire est classée.
Elle atterrit en Centre médical et psychologique, loin de sa famille. Les scarifications reprennent, une première tentative de suicide. On la diagnostique bipolaire.
Bao, sous l’emprise d’un réseau
Déscolarisée à 16 ans, elle rencontre un garçon de 19 ans avec qui elle a une aventure, le premier à lui proposer de se « faire de l’argent ». Comme tant d’autres, elle dit d’abord non avant de devenir « Molly », un profil que son « petit copain » proxénète lui a créé sur les réseaux sociaux. La colère qu’elle ressent contre lui cède la place à la peur de le perdre. La carence affective a fait son œuvre ; le piège se referme. Avec le premier client, elle se dit «Allez Bao, pense à autre chose ».
La suite est hélas trop connue. Une « recruteuse », l’amie qui la mène sur la voie du réseau, un premier proxénète qui la met sous emprise, un second, Karl, plus violent, qu’elle accepte parce que « l’auto dévalorisation devient ma seule boussole, je me jette dans la gueule du loup ». Il la viole, elle continue de sombrer.
À bientôt 18 ans, elle « ne vaut plus rien » et dépend de la drogue et des médicaments. Quand elle s’effondre et déplaît à un « daron blanc de 40 ans » qui trouve qu’elle ne ressemble pas à l’annonce, le proxénète divise par trois son tarif, et lui fait prendre de la cocaïne.
Retour au début de la fin : l’hôpital in extremis, l’écriture et la rencontre d’une sexologue et d’une thérapeute qui l’aident à comprendre qu’elle n’était qu’une victime et ses proxé- nètes des agresseurs. Aujourd’hui, elle travaille. Elle a même rencontré un compagnon aimant et porté plainte contre ses bourreaux.
Terrible et bouleversant, le récit de Bao est malheureusement celui de trop d’adolescentes aujourd’hui. Il est temps qu’un accompagnement féministe leur soit systématiquement proposé à la première violence subie. Et que ceux qui, à l’instar du « daron de 40 ans», sont prêts à les violer moyennant paiement, soient jugés à la hauteur de la violence infligée.
Bao, 16 ans, prostituée, Editions XO, 2024
