La Sorbonne donne le micro à un proxénète : une initiative cynique et indéfendable

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Lettre ouverte au Président de l’Université Paris IV Sorbonne, Monsieur Barthélémy Jobert, suite à l’invitation du proxénète américain Dennis Hof dans le cadre d’un débat à la Sorbonne le 11 mars 2015.

Nous venons vous exprimer la désapprobation du Mouvement du Nid au sujet de l’accueil réservé à Dennis Hof au sein de votre université le mercredi 11 mars 2015, lors du débat en faveur de la légalisation des maisons closes organisé par l’association étudiante « Débattre en Sorbonne ».

Annonce

La brochure produite par l’association présentait le proxénète étatsunien Dennis Hof comme un invité exceptionnel prenant part à un débat présidé par Liz Green, une journaliste de la BBC faisant elle-même la promotion de l’implantation des maisons closes selon le modèle de Hof en Grande-Bretagne. De surcroît, l’annonce de la venue de Julie Bindel, journaliste féministe britannique et cofondatrice de l’association Justice for Women, s’est avérée erronée, et aucun orateur ne l’a remplacée. Cette absence laissait donc un boulevard à ce souteneur pour présenter sous un beau jour son activité de proxénétisme sans contradiction dùment informée, et ce dans un des établissements d’enseignement public les plus prestigieux de France.

Nous trouvons cette initiative à la Sorbonne difficilement défendable tant sur le fond que sur la forme. Donner un micro à un proxénète trois jours après le 8 mars, Journée internationale des femmes, et dans le cadre même de vos Journées des Femmes atteint le comble de cynisme. Nos amis d’Outre-Manche, dont les organisateurs de ce débat se réclament, diraient que c’est to add insult to injury, ajouter l’injure à la blessure.

Ceci est confirmé par les propos odieux et souvent contradictoires que nous avons entendu lors de cette soirée, sans être relevés par l’équipe encadrant l’événement. En effet, bien que Dennis Hof se déclarait volontiers pro-femmes et disait parler sous la supervision de son amie Liz Green qu’il prétendait être une grande féministe, il a enchaîné des propos qui devraient vous alerter. Le nom de la maison close principale de M. Hof, imprimé sur la brochure, assimilait déjà les femmes prostituées à des lapines. Puis, pendant la soirée, Hof a filé la métaphore du ranch américain en appelant ces femmes my cows : mes vaches. Nous vous rappelons que le « ranch » est un lieu d’élevage extensif de bétail. Le bétail, parqué, marqué, engraissé, puis abattu, est voué à la consommation.

Réduire des personnes à des traits animaliers est un moyen de les déshumaniser. C’est de cette façon qu’historiquement, les Noirs ont été comparés à des singes et les Juifs à des rats. Usant de la même logique, l’invité exceptionnel a présenté à l’auditoire de l’amphithéâtre de la Sorbonne Milne Edwards des jeunes femmes sous une forme consommable, comme du bœuf et du lapin. Nous sommes là dans un registre sexiste d’une extrême violence que votre équipe pédagogique aurait dù immédiatement identifier. Il était du devoir de votre université, lieu d’enseignement public, de mettre fin à ce flot de misogynie ou au moins de le relever, de le qualifier et de le condamner fermement.

Cela s’ajoute, entre autres, au fait que M. Hof prétendait parler au nom des femmes prostituées travaillant sous ses ordres. On se demande quel patron de n’importe quelle industrie peut se permettre un tel numéro de ventriloquie ! Entre autres injonctions paradoxales, il a affirmé ne pas être à proprement parler un proxénète, tout en faisant, face à vos étudiant(e)s, la promotion de son livre à paraître prochainement : The Art of the Pimp, soit L’Art du Maquereau. De même, se plaçant comme un « businessman » repoussant la criminalité hors de son entreprise, personne parmi votre équipe pédagogique n’a eu le courage et la décence de signaler ouvertement face à lui et au public estudiantin venu l’écouter et lui poser des questions que dans notre pays son activité même est caractérisée comme délictueuse et punie selon l’article 225-5 du Code Pénal de 150 000€ d’amende et de sept ans d’emprisonnement. Et qu’une brigade de répression lui est même dédiée au sein de la police nationale.

Nous vous demandons que les activités de votre établissement ne se cachent pas derrière la tradition des débats à l’anglaise, que le président de l’association « Débattre en Sorbonne » a dit vouloir imiter. S’inspirer de cette tradition admirable n’implique aucune obligation d’inviter des proxénètes à la tribune. D’une part, si les précédents à Oxford et Trinity College n’ont pas dégénéré, c’est bien parce que la règle d’or de ce type de débats avait été respectée : à savoir que pour toute thèse, un orateur de même envergure doit être là pour présenter une antithèse – ce qui n’a pas été le cas pour cet événement, bien que l’association « Débattre en Sorbonne » était au courant de ce manque plus de dix jours avant sa tenue. Un débat sans contradiction valable ne peut pas décemment recevoir le nom de « débat ».

De plus, l’invitation du propriétaire du Moonlite Bunny Ranch a été loin de faire l’unanimité Outre-Manche. Des articles qualifient cette invitation de la part de ces universités prestigieuses comme sparking controversy, irresponsible et foolish (suscitant la polémique, irresponsable et imprudent). Ces critiques sont venues en particulier d’étudiantEs et d’associations de défense des droits des femmes.

Il semble aussi utile de mentionner que cette tradition anglaise, aussi ouverte soit-elle, est munie d’une No Platform Policy. Instituée à l’origine contre des orateurs négationnistes de la Shoah, elle interdit de donner une tribune au sein des universités à des thèses racistes et fascistes, considérées à raison comme des dangers publics. En amont de chaque événement, il y a de nombreux débats au sein des associations étudiantes pour savoir qui, compte tenu de ses antécédents, peut être autorisé ou non à tenir un discours public. Parfois, maintenir l’invitation d’une personnalité controversée provoque des contestations importantes, comme celle de Dominique Strauss-Kahn en 2011 à l’université de Cambridge. Nous vous invitons à vous renseigner sur la manifestation suscitée par cette invitation, pour vous donner une idée de la mesure exceptionnelle des étudiantEs et militantEs français comparée à ce à quoi vous auriez pu être confronté.

Le contexte étant fixé, nous nous posons bon nombre de questions sur la gestion de ce débat en Sorbonne. Où étaient les enseignants-chercheurs, pour encadrer la prise de parole de ce délinquant patenté aux yeux de la loi française invité pour s’adresser à des étudiants ? Pourquoi ce débat a-t-il été maintenu alors que la contradictrice n’avait pas été remplacée ? Pourquoi personne n’a pensé, au minimum, à compenser l’absence de Julie Bindel avec la lecture à voix haute d’un ou deux de ses articles consacrés aux conséquences terribles du proxénétisme légal au Nevada, et qui se réfèrent à l’ouvrage de recherche de Melissa Farley, Prostitution and Trafficking in Nevada: Making the connections (2007) ? Pourquoi ne pas profiter de la présence de ce proxénète pour transformer cet exercice, comme le disent les anglo-saxons, en un teachable moment, un grand moment d’enseignement sur la réalité de la prostitution et du trafic d’êtres humains dans le monde ?

Nous nous inquiétons d’autant plus que nous nous sommes rendu compte que cet événement n’était pas tout à fait un cas isolé. C’est la deuxième année consécutive que l’université de la Sorbonne organise un débat autour de la réouverture des maisons closes, et à chaque fois à proximité de la journée des droits des femmes. L’année dernière, vous avez déjà accueilli au sein de votre université celui de l’association Révolte-toi, Sorbonne intitulé Maison close : le bordel défie l’ordre à peine deux semaines après le 8 mars. Cette année, vous avez carrément intégré le débat au sein même des événements censés commémorer et soutenir la lutte pour l’égalité hommes-femmes, et par-dessus le marché vous avez fait d’un proxénète un invité d’honneur. Un comble! Nous nous interrogeons donc sur le message que votre établissement souhaite véhiculer au sujet des femmes et de leurs droits.

Nous remarquons de plus que ces initiatives de votre université s’inscrivent dans une réflexion très en retard par rapport au débat public sur la prostitution. En effet, celui-ci est actuellement plus centré sur la possibilité de la pénalisation des clients de la prostitution que sur la dépénalisation du proxénétisme. Nous osons croire que les débats à l’Assemblée nationale puis au Sénat n’ont échappé ni à votre attention ni à celle des étudiants responsables de l’association « Débattre en Sorbonne », si ceux-ci sont suffisamment intéressés par l’univers de la prostitution pour connaître Dennis Hof et Liz Green. Nous nous étonnons de ne pas avoir été contactés pour fournir une oratrice ou un orateur capable de tenir tête à Dennis Hof lors de votre événement. Car nous en avons de très compétentEs, qui auraient pu parfaitement s’exprimer en anglais.

Nous vous proposons les services de la Délégation du Mouvement du Nid de Paris pour organiser dans votre université un autre débat autour de la réalité de la prostitution et du proxénétisme dans le monde, assuré cette fois-ci par des spécialistes qui ne tirent aucun bénéfice de cette industrie.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur Jobert, l’assurance de nos sentiments les meilleurs,

Claire Quidet,

Vice-Présidente et porte-parole du Mouvement du Nid – France