Caroline : Ils utilisent les techniques des gourous : c’est comme une secte

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En 2008, la délégation du Mouvement du Nid du Gard a accompagné une jeune femme prostituée dans un réseau sado-masochiste. Ce soutien a été déterminant puisqu’il lui a donné le courage de porter plainte contre son proxénète. Un procès a eu lieu en octobre 2011, qui a mis en lumière les pratiques terrifiantes du milieu du « BDSM »[[Bondage, Discipline, Domination, Soumission, Sado-masochisme.]]. Caroline [[Prénom d’emprunt.]], l’une des victimes, nous a raconté son histoire.

J’ai un boulot, je travaille depuis dix ans dans le milieu du social, je suis donc quelqu’un d’informé. Cette histoire n’aurait donc jamais du m’arriver. Heureusement, j’ai toujours eu le soutien de l’écriture ; écrire m’a aidée à tenir. Il y a deux ans, je me suis retrouvée dans une situation financière catastrophique. Je n’avais pas de très bons rapports avec ma famille.

Par une amie, j’ai fait la connaissance d’un prétendu entrepreneur. J’avais dit que je m’intéressais aux jeux sexuels soft. Il m’a donné rendez-vous et est venu chez moi. Ce n’était pas du tout mon type. Il était plein d’assurance et ne me plaisait pas. Pendant trois mois, il m’a suggéré des choses, me disant qu’il avait fait ça avec son ex, entre amis. En fait, il m’a présenté le BDSM. Je l’ai pris en rigolant. Quand il est arrivé un jour avec un collier, je lui ai dit que je ne me soumettrais pas, que je ne lui appartiendrais jamais. Et puis il m’a initiée.

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Ses potes étaient riches, moi j’avais un petit boulot. Il restait là pendant les séances. Je gérais tout, je décidais tout. Il me faisait découvrir de nouvelles techniques, il me faisait franchir des limites. Un jour, il est arrivé avec une cravache, mais c’était en douceur, pour une séance avec un ami.

Et puis il y a eu l’histoire de la voiture volée. Il m’a appelée un soir pour me dire qu’il était recherché par la gendarmerie. Je l’ai ramené chez moi sans poser de question. Chez moi, c’est un coin isolé. On dirait un film de Tarantino… Le lendemain, il a fait venir deux ouvriers de son entreprise et nous a demandé de l’aider à détruire une voiture volée.

Je suis prête à tout pour soutenir mes amis. Je fonce, je suis loyale avec eux. Par amour, un jour j’ai aidé un homme à s’échapper d’un hôpital psychiatrique.

Le lendemain de l’incident de la bagnole, j’ai appris que l’un des types avait tout balancé à la police. Il avait dit que j’étais avec eux et qu’en plus je dealais. Moi qui avais de gros soucis financiers, cette histoire me tombait sur la gueule. Pas moyen de me payer d’avocat, pas droit à l’aide juridictionnelle. La cavale C’est là qu’a commencé la cavale. Presqu’un mois avec cet « entrepreneur », qui m’a vite expliqué qu’en fait il faisait partie d’un réseau de prostitution. Une cavale comme au cinéma : je vis avec mon portable éteint, il y a des barrages sur les routes, qu’on réussit à passer les uns après les autres (je fais semblant d’être plongée dans une carte routière). Lui veut qu’on aille en Espagne. Il reçoit des mandats ; plus tard j’apprendrai qu’il utilise ma carte bancaire.

Les cinq premiers jours, je pleure sans arrêt. J’ai le sentiment de ne plus avoir d’identité. Plus de boulot, plus de portable, plus de casier vierge. J’ai peur pour l’avenir. Je fais des cauchemars. Puis je me dis que ça ne sert à rien de s’apitoyer sur soi-même ; il faut trouver une solution. Il parle d’un réseau qui est à nos trousses. Soit je rapporte de l’argent, soit je vais finir dans une cave. Je ne sais pas si ce qu’il dit est vrai. Je lui propose qu’on se rende. Je n’ai pas peur de la police, pas de la prison mais j’ai peur des gens qui y sont ; de leur violence. J’ai des amis en prison, je suis au courant des tortures. Je connais aussi les avocats qu’on achète et tout le reste. Je n’ai pas peur de lui non plus. Mais il m’explique les menaces du réseau : rester six mois enfermée, avec de l’eau. Je savais que ça pouvait être vrai. J’ai essayé de passer des mails, essayé de m’enfuir plusieurs fois ; je l’ai frappé.

Il m’a fait le coup de la crise cardiaque ; c’était bidon. Il prenait des médicaments tous les jours pour me faire croire qu’il avait des problèmes de cœur ; en fait il avait une fausse identité, une fausse entreprise, tout était faux. Il avait tout calculé, tout préparé de A à Z. Une fois, je lui ai donné des coups de talon aiguille dans le ventre. J’avais un chien avec moi, il lui achetait des steaks. Même mon chien était de son côté.

On s’est retrouvés sans argent. C’est là que je suis devenue prostituée sur les aires d’autoroute, il avait ses méthodes pour arrêter les voitures et rabattre le client. Dans les sex-shops aussi ; il connaissait les propriétaires. Il fallait que je ramène 200 € par jour. En gros, tant que j’étais avec lui, j’étais protégée. Je ne savais pas de quoi le réseau était capable. J’ai trouvé des menaces contre moi sur le Net.

J’ai compris qu’il connaissait tout le monde – surtout des petits bourgeois, assez âgés – et qu’avec son argent, il pouvait tout acheter. J’étais pieds et poings liés. Sans savoir exactement à quoi, à qui je m’affrontais. J’ai refusé de ramener les 200€ par jour. Ma seule arme, c’était mon cerveau. Il me restait une quinzaine de chèques. Un chèque, c’était un client en moins.

Un jour, il m’a amenée dans une maison. C’était un hébergement, mais avec échange. Le type pratiquait le BDSM, j’étais censée rester quatre jours. Il m’a passé une corde autour du cou et il a fait des tours. J’ai mis mon doigt pour ne pas être étranglée. Il m’a brùlée avec de la cire. Il a dit qu’on allait se rendre chez un couple de dominateurs, dont une dominatrice. Pour moi, pas question d’avoir des rapports avec des femmes, et surtout dominatrices.

J’appelle l’autre en lui disant que je vais me casser. On repart. Il me dit qu’une voiture nous suit, il me raconte que je vais être louée à un type pour une semaine. Il me propose aussi de tourner un film pour eux, de jouer un rôle de soumise, ce que j’ai toujours refusé d’être. Là, c’est l’horreur. Les séances de dressage. Les bouquets d’orties sur le corps ; les pinces à outillage sur les seins, le bâillon, les tortures. Le type se défoulait. Le seul moyen que j’avais trouvé, c’était de trembler tellement qu’il arrêtait. J’ai été attachée à un radiateur dans le noir ; j’ai gratté toute la peinture en me disant que ça ferait une preuve pour après. Je réfléchissais sans arrêt.

Le deuxième jour, j’ai dit que j’allais me tuer.

Curieusement, « l’entrepreneur » m’a sortie de la maison. C’est inexplicable, Je pense qu’il devait m’aimer. J’ai pu m’enfuir. J’ai foncé à la gendarmerie. Il a appelé, quel culot, pour dire que mes amis étaient de la mafia. Il a été arrêté.

Moi, si indépendante, autonome, qui ai travaillé très jeune, qui ai quitté ma famille, qui ai toujours été libre, j’aurais préféré me suicider plutôt que leur appartenir. Si j’avais eu un couteau, j’aurais tué celui qui me torturait. C’était un malade, un taré. Il organisait des gang bangs[[Relations sexuelles de plusieurs hommes avec une seule femme.]] payants chez lui. Aujourd’hui, il est en prison ; j’ai plus de mépris que de haine.

Je l’ai revu lors d’une confrontation devant le juge ; d’un parfait égoïsme ; pas une once de remords. Rien. Il m’a traitée de menteuse. Il se dit dominateur, et il n’est rien du tout. Il a été arrêté pour proxénétisme, violences aggravées et tortures. L’autre, « l’entrepreneur », pour proxénétisme et escroquerie. Il m‘avait expliqué qu’une prostituée qui avait refusé de se soumettre avait pris 14 coups de couteau. Je sais maintenant que c’était vrai.

Je sais aussi que son ex-femme, il l’a détruite. Il l’a échangée contre de l’argent qu’un copain lui devait et l’a mise dans le SM [[Sado-masochisme.]]. Elle s’en est sortie et a même réussi à venir témoigner au procès. Il y a eu d’autres victimes mais elles ont refusé de porter plainte. Le milieu BDSM, c’est un cercle très restreint. Des bourgeois, entre amis, pas des réseaux officiels. Du bouche à oreille. Ca rapporte trois fois plus que le proxénétisme normal. On peut louer une femme pour 600 ou 700 €. Une femme pour tout, absolument tout. Il y a toujours échange d’argent ou service rendu. Ca se passe dans des lieux isolés, des châteaux, des pièces aménagées appelées « donjons ». Beaucoup d’hommes en profitent pour avoir une femme qui soit une serpillière. Une partie des femmes y vont de leur propre chef. D’autres sont malléables, influençables. On leur fait signer des contrats, ils ont une valeur juridique. Ils prennent des précautions pour qu’après elles ne puissent pas porter plainte. Moi je n’ai jamais signé de tels documents. Tout ça peut aller jusqu’à la mort psychologique ; ne plus avoir ses propres pensées.

C’est comme une secte ; ils utilisent les techniques des gourous. On vous répète tout le temps le même truc, c’est pour ça que je parle de lobotomisation. Il y a la fatigue physique aussi. On est privée de sommeil, on n’a plus à manger, plus à boire. Tout est possible, comme dans le film Hostel [[Film d’épouvante de Eli Roth (2006)]]. C’est la soumission ou la mort. Moi, je voulais bien être soumise par jeu. Mais pas tout le temps. Pas 24h sur 24. Et puis ce truc, c’est l’escalade.

J’ai eu de la chance. Mon père a tout fait pour me retrouver. (Ma mère disait toujours : « on te retrouvera morte dans un fossé », je comprends mieux pourquoi maintenant). Mes collègues ont posé un congé pour moi, ils se sont mobilisés pour que ce ne soit pas un abandon de poste.

J’ai eu des amis formidables ; et puis d’autres se sont servis de ça pour que je sois redevable. Ils estiment qu’ils m’ont sauvé la vie et ils s’en servent.

En fait, tout ça me pendait au nez depuis longtemps. Depuis mes 17 ans, j’ai toujours fréquenté le milieu de la rue. J’ai connu le milieu des prostituées, des toxicomanes, les milieux alternatifs. A 17/18 ans, j’avais mon meilleur ami, homo, qui travaillait dans un bar. On avait une copine prostituée. Elle disait en parlant de ses clients « il m’a dit qu’il m’aimait ». Elle était toxico, elle se piquait. Je la plaignais.

Mais ma réalité n’était pas fameuse non plus à l’époque. Aucun rapport avec mes parents. Aucun avec ma sœur, depuis que mon beau-frère avait essayé de se taper les deux sœurs. Il y a eu des attouchements, des trucs et puis il est allé dire que j‘étais névrosée et toxico. Toute la famille a dit : tu la fermes, il a des gamins.

Quand tout le monde vous dit de vous taire, vous finissez par vous demander si c’est vraiment arrivé.

Un jour où un de ses amis m’a sauté dessus, j’ai eu un flash back. L’autre truc m’est revenu. Cette fois là, je n’ai rien dit non plus. Donc, pas de famille, pas d’amis proches sauf cet ami homo ; le milieu techno, des gens dans la galère, avec plein d’histoires d’incestes et de violences ; il y en beaucoup autour de moi.

Moi, quand je leur en parle librement, ça les aide à parler. On est tous des galériens.

Un jour, un type s’est arrêté à ma hauteur et m’a demandé : c’est combien ? Ca m’attirait depuis longtemps. Des types me faisaient des propositions, je passais dans les quartiers de prostitution, devant les bars. Il y a longtemps, je me souviens que j’avais vu des filles toutes jeunes sous un abribus. Je m’étais arrêtée pour les regarder, pas par curiosité malsaine. L’une d’entre elles riait, ça m’attirait. Comme on prendrait sa dose d’héro.

Servir d’objet. C’était ça ma dose. Une sorte de dépendance dans un but de destruction. Je n’aime pas la défonce dans les soirées techno, perdre le contrôle. Dans les teufs, on parle toujours de traite des blanches. J’ai toujours été prudente. Jamais trop défoncée. Il y a des règles à suivre. Il faut faire attention. Moi, ma défonce, c’est sur le plan sexuel. Je le sais depuis longtemps. Je pensais pouvoir m’arrêter ; ne pas partager l’argent. Mais on ne peut pas faire ça seule.

Je passe devant des bars à hôtesses, je sais que c’est encore plus dangereux. Quand on se sous-estime, même si je ne me trouve pas moche, un prix c’est la preuve qu’on n’est pas si mal que ça. J’aimais bien m’habiller sexy, moi qui porte toujours des pantalons informes. Savoir que des hommes sont prêts à payer pour vous, c’est une force ; une forme de pouvoir. Parmi les clients, il y en avait de sympas avec qui je discutais. Ils me disaient que leur femme ne faisait pas ci ou ça. Je les comprenais. Les femmes sont très fermées au niveau sexualité. Il y a des tabous, un manque de communication.

Ce don de soi, on se sent valorisée… Et en même temps, on se sert de vous, il y a une non reconnaissance ; c’est une forme d’autodestruction. Comme l’alcool, la drogue.

Pour moi, la prostitution, c’était un fantasme. J’avais envie de franchir le cap. Quand ça devient une réalité, on s’aperçoit qu’on ne choisit pas les hommes ; ce ne sont pas tous des types jeunes ou attirants. On le fait sans envie, parfois même avec dégoût. Moi, j’avais dit, jamais des vieux. Je tenais tête, je criais, je n’ai jamais lâché prise. Mon mauvais caractère m’a sauvée.

Le problème, parfois, c’est l’envie d’y retourner. Le syndrome de Stockholm. Ce type a créé chez moi une habitude. Une lobotomisation. Sur les aires d’autoroute, au début, quand je voyais un camion… Mais aujourd’hui, une chose est certaine : je n’y retournerai jamais. J’ai frôlé la mort de trop près. J’ai vraiment cru que j’allais mourir dans cette maison. Aujourd’hui, j’ai peur d’être suivie, j’ai l’œil sur les plaques d’immatriculation.

A mon retour, j’avais 3000 € de découvert ; je me suis retrouvée à la rue ; il a fallu que je retourne chez mes parents pour six mois. Plus de lieu à moi, mes affaires éparpillées, une perte totale de repères. C’était terrible à vivre. Avec ça, les avocats, les gendarmes, tout le monde me dit de me taire. Moi je dis ce que je veux, quand je veux. Je préfère que les gens apprennent l’histoire de ma bouche plutôt que de celle des autres.

Depuis cette histoire, j’ai compris le danger que peut représenter le BDSM. Je me suis mise en couple et j’ai découvert ma violence. Il ne faut pas que j’entraîne quelqu’un dans ces pratiques. Il ne faut pas faire n’importe quoi.

Aujourd’hui, je ne me sens plus infaillible, je veux laisser du temps au temps. Sur la centaine d’hommes que j’ai pu rencontrer dans ma vie, il y en avait dix d’honnêtes ; beaucoup sont manipulateurs pour arriver à leurs fins.

Les femmes ? J’ai la haine. Celle qui m’a présenté ce type, une autre qui a essayé de me casser auprès des flics. Des amies ; les gens qu’on aime, ça fait plus de mal. Maintenant, je voudrais que le regard des autres cesse de faire peser sur moi ce fardeau. Nul ne peut juger de la vie d’autrui. Et je sais une chose : quelqu’un qui vous aime ne vous rabaissera jamais.