« Un procès hors normes » a titré la presse. Est-elle vraiment si « hors normes » cette affaire Pélicot ? Une cinquantaine d’hommes comparaissent pendant 4 semaines pour viols aggravés infligés pendant 10 ans à une femme droguée par son mari et livrée à ces hommes inconsciente.
Des monstres ? Non, des hommes tout ce qu’il y a d’ordinaires qui ont profité de « l’offre » d’un mari pornographe ; des hommes prêts à tout pour s’affranchir du consentement d’une femme…et s’ils n’ont pas payé le mari en argent, on peut ici parler « d’échange », puisque les uns ont eu à leur disposition une femme sans avoir besoin dudit consentement, l’autre a obtenu des « acteurs » gratuits pour son fantasme : les vidéos pornos qu’il tournait. Et par lesquelles, heureusement, il a été découvert.
Après le cataclysme de la découverte des faits, on peine à imaginer la force qu’il faut à Gisèle Pélicot (71 ans) pour faire face à son ex-mari et à 50 de « ses » violeurs ; pour voir déballée sa vie intime et épluchés les dizaines et dizaines de viols qu’elle a subis comme « une poupée de chiffon » ; et pour survivre au gouffre qui s’ouvre quand on croit avoir partagé avec un mari attentionné cinquante ans de vie commune…
Ce 2 septembre 2024, et jusqu’au 20 décembre, s’est ouvert à Avignon le procès de l’homme dont elle a divorcé et de ses complices. Gisèle Pélicot a découvert les faits le 2 novembre 2020. Convoquée au commissariat de Carpentras, elle pense être interrogée parce que son mari a été interpellé après avoir filmé sous les jupes des femmes dans un supermarché.
En réalité, c’est le début du cauchemar qui va l’amener à visionner des kilomètres de photos et vidéos pornographiques toutes « plus atroces les unes que les autres », la montrant, dans un état d’inconscience proche du coma, livrée aux violeurs, parfois plusieurs à la fois.
Il apparaît que « Monsieur Pélicot » la droguait au Temesta, un puissant anxiolytique dont il lui administrait jusqu’à dix comprimés, une dose qui aurait pu la tuer. Puis il lançait des « invitations » sur Internet via le site coco.gg[]Fermé en juin 2024 suite à des affaires de pédocriminalité, viols et prostitution.],, invitant les volontaires à venir la violer. Assurant n’avoir jamais touché d’argent, il filmait alors méthodiquement les viols.
Les policiers ont évalué leur nombre à 92 entre 2011 et 2020. Certains auraient duré jusqu’à 6 heures. Au moins 70 hommes auraient pris part à ces « invitations » dont une vingtaine sont restés non identifiés. Tous savaient qu’elle était droguée. La majorité des accusés sont venus une fois mais certains jusqu’à six fois (dont un homme séropositif) afin de profiter pleinement de « l’aubaine ». Seuls 14 d’entre eux ont reconnu les faits. Trois seulement ont présenté des excuses.
Gisèle Pélicot, ignorante des faits, a vécu des années d’errance médicale, ne s’expliquant pas les coups de fatigue, les trous de mémoire, les douleurs gynécologiques. Souffrant de troubles cognitifs et neurologiques, elle a même pensé être atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Une terrifiante solidarité masculine à Mazan
Les 51 mis en examen sont des «Monsieur Tout-le-Monde» ne présentant aucune pathologie particulière. Ils sont jeunes, vieux, de tous milieux, sont chauffeur routier, ouvrier, infirmier, militaire, plombier… des hommes « bien sous tous rapports » selon leur entourage.
« Gisèle détient un savoir terrible et monumental, écrit Lola Lafon[; elle porte la fin d’une illusion à laquelle on continue à s’accrocher. Elle vient confirmer la fin d’un mythe qui a tous les atours d’un déni collectif : le mythe du monstre ». L’écrivaine relève, loin du fait divers hors normes, « le miroir grossissant de tout viol conjugal ».
Certains ont invoqué l’accord du mari pour se dédouaner tant ils sont sûrs de leur droit de cuissage : la femme est la propriété de son seigneur et maître ; d’autres ont dit avoir cru qu’elle faisait semblant de dormir. De leur côté, les avocats de la défense ont tenté le coup du possible « jeu de couple », éternel argument du « consentement » des victimes.
Un des avocats de la défense a invoqué l’absence d’intentionnalité car certains l’auraient cru consentante. Faut-il ici leur rappeler qu’une femme qui est inconsciente ne peut être consentante ? Et qu’ils ont répondu à une annonce passée dans une rubrique intitulée « à son insu » ?
Jamais aucun de ces hommes n’a prévenu la police. Tous se sont serré les coudes pour garder le secret dans un entre-soi masculin qui n’est pas sans évoquer des comportements connus : ensemble, on normalise, on se déculpabilise, on s’encourage. On consomme de la prostitution filmée ou on se rend en bande « aux putes ».
Comment ne pas penser à tous ces « clients » prostitueurs qui violent sans peur et sans remords au prétexte qu’ils ont payé ? Eux non plus ne se préoccupent jamais de savoir si la femmes qu’ils violent est victime de traite, si elle est mineure, si elle a « choisi » d’être là ou pas.
Toutes solidaires avec Gisèle
Le consentement des intéressées ? Hors sujet. « Ce n’est pas seulement vous, Gisèle, qu’ils ont traitée comme une chose. Ils nous disent, à toutes, notre insignifiance » écrit Hélène Devynck, une des plaignantes de l’affaire PPDA, et autrice d’Impunité.
Au bout de 4 ans de parcours judiciaire, Gisèle Pélicot a refusé le huis clos pour que se tienne un vrai procès de société, pour que soit connue la soumission chimique et pour que la honte change de camp. Grâce à son courage, cette affaire a un retentissement international. Les prévenus encourent 20 ans de réclusion.