Prostitution des mineur·es : des mots ou une véritable volonté ?

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Nos associations attendaient que soit sonnée la mobilisation générale. Forgé à partir des conclusions du groupe de travail auquel a participé le Mouvement du Nid, le plan interministériel sur la prostitution des mineur.es présenté ce 15 novembre 2021 par le secrétaire d’État à l’Enfance Adrien Taquet, affirme une volonté que nous saluons, même si le manque d’information quant à l’intégration à l’ensemble des politiques publiques sur la prostitution a de quoi nous inquiéter…

Publié en juillet 2021 suite au groupe de travail auquel participait le Mouvement du Nid, le rapport de la magistrate Catherine Champrenault à l’origine du Plan faisait le constat qu’une majorité des « mineurs » concernés (mot toujours au masculin) étaient… des filles âgées de 15 à 17 ans, recrutées à l’âge de 14 ou 15 ans pour plus de la moitié d’entre elles. Les chiffres avancés sont estimés entre 7000 et 10.000, un nombre qui aurait augmenté de 70 % en cinq ans.

Issues de tous les milieux, la majorité d’entre elles ont été confrontées à une forme ou une autre de précarité ou de carences affectives et ont vécu des violences sexistes et sexuelles. Vulnérables, souvent en fugue, voire hébergées dans des foyers d’Aide Sociale à l’Enfance, elles se livrent en confiance sur les réseaux sociaux où elles sont repérées par de jeunes proxénètes qui excellent à les séduire.

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Manipulation, promesses de grande vie, la « solution » qui leur est subtilement proposée, ou brutalement imposée, s’appuie sur une logistique de fer. Si emprise et sentiments amoureux font qu’il est souvent difficile pour les victimes de s’identifier comme telles, la réalité est l’entrée dans un parcours de destruction marqué par des violences graves, celles des « clients » comme celles des proxénètes, qui mettent en danger leur santé et leur développement. Une prise de conscience de la gravité des faits relève donc de l’urgence.

Doté de 14 millions d’euros, le plan présenté par le gouvernement s’organisera en 2021 et 2022 autour de quatre priorités : mieux connaître et sensibiliser, renforcer le repérage des jeunes impliqué.es, accompagner les victimes dans la reconstruction de leur parcours de vie et réprimer plus efficacement les « clients » et proxénètes.

Le signe d’une prise de conscience

Alliant les ministères de la Justice, de la Ville, de l’Intérieur, de la Jeunesse et de l’Engagement, et de la Protection de l’Enfance, la dimension interministérielle du Plan est le signe bienvenu de la prise de conscience qui manquait. Le Plan prévoit l’inscription dans le Code de l’action sociale d’un fait majeur, qui ne devrait plus faire aucun doute pour quiconque : un·e mineur·e en situation de prostitution est en danger. Même si elle/il dit le contraire.

Première urgence, ouvrir les yeux. Adrien Taquet a rappelé la nécessité de combattre la banalisation, notamment via la pornographie (prostitution filmée), et la facilitation due aux réseaux sociaux. Les euphémismes dans l’air du temps, comme « michetonnage » ou « escorting », qui donnent aux jeunes une illusion de maîtrise et d’autonomie, ne doivent plus cacher la réalité prostitutionnelle qu’il est temps de regarder en face, sans le filtre glamour qui lui est trop souvent accolé.

On peut donc saluer des annonces qui vont dans le bon sens : informer et sensibiliser les enfants et les parents, renforcer la formation de la communauté éducative, travailleurs sociaux, personnels hôteliers, policiers et gendarmes ; mobiliser les réseaux sociaux pour repérer et supprimer des contenus ; renforcer le repérage précoce, par exemple dans les établissements scolaires et de santé via le décrochage scolaire, les fugues, mais aussi accompagner les parents, jusqu’ici terriblement démunis.

Organiser une prise en charge immédiate des victimes dès les premiers signes de détresse, améliorer l’accueil et la prise en charge dans les commissariats, comme pour les victimes de violences conjugales ; assurer la prévention dans les établissements scolaires, notamment par l’éducation à la sexualité et l’information sur la marchandisation des corps, promesse souvent faite dont on peut espérer enfin la concrétisation. Enfin, renforcement des poursuites et sanctions contre proxénètes et « clients ».

Quid de la cohérence des politiques ?

L’impunité qui protège aujourd’hui les « clients » prostitueurs est en effet particulièrement choquante. Le Plan, malheureusement, ne dit rien des moyens qui pourraient être mis en œuvre ; rien d’un éventuel ciblage de ces pédocriminels par la campagne nationale d’information qui devrait être lancée. Quelle volonté réelle aura-t-on de s’attaquer au noyau dur, c’est-à-dire au comportement de ces hommes sans qui la « prostitution des mineur.es », et la prostitution tout court, n’existerait tout simplement pas ? La question est vraiment posée.

De même, si un dispositif d’accompagnement et d’hébergement est prévu dans chaque département, les instances de pilotage au niveau national et territorial n’ont pas été présentées. Quid d’une articulation avec les commissions départementales mises en place par la loi du 13 avril 2016 ? Le Mouvement du Nid tient à rappeler qu’aucune politique digne de ce nom ne peut oublier que la prostitution s’inscrit dans le continuum des violences sexistes et sexuelles.

Il s’agit d’un même système de violence et d’exploitation qui extorque à des filles et des femmes un pseudo consentement arraché par la contrainte financière. Avant ou après 18 ans, elle a globalement les mêmes causes et les mêmes conséquences dommageables sur la santé physique et psychique. Le travail à mener ne peut l’être qu’en lien avec la politique publique d’égalité entre les femmes et les hommes. Si la prostitution des mineur.es doit rester un wagon détaché de l’ensemble du train, nous ne pouvons qu’avoir des doutes sur l’efficacité du dispositif.

Un pas important a été franchi. Il reste à en décliner plus clairement les modalités pour aller au-delà des effets d’annonce.

Lire le communiqué de presse du Mouvement du Nid suite à ces annonces

Lire l’article du Monde sur le plan

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.