Prostitution des mineur·e·s : un film choc et après ?

2060

Les médias évoquent ces derniers temps un prétendu nouveau type de prostitution des mineur.e.s, qui se développerait via Internet et qui impliquerait essentiellement des jeunes des « cités ». Le documentaire Jeunesse à  vendre, diffusé le 18 avril 2018 sur France 5, démonte ces clichés et témoigne de l’ampleur du phénomène prostitutionnel chez les jeunes. Servira-t-il d’électrochoc face à  une société qui reste dans le déni ?

La nouveauté du phénomène est à  rechercher du côté de l’âge des proxénètes, mineurs eux-mêmes ou tout jeunes adultes : ex-dealers ou petits braqueurs mais aussi des jeunes filles aux parcours chaotiques. Un proxénétisme de mineur.e.s exploitant d’autres mineur.e.s, comme le montre le filmJeunesse à  vendre. Ils recrutent des connaissances, dans les foyers ou leurs lycées, en s’aidant des réseaux sociaux et d’Internet pour louer des appartements Airbnb, trouver des « clients » et encaisser le prix de la passe. Le recrutement peut avoir lieu au collège : une commissaire de police a dénombré dans une petite ville de la couronne parisienne près d’une vingtaine de cas ne concernant que des collégiennes.

Rôle majeur des fragilités individuelles

Mais il ne faudrait pas croire que ce phénomène est circonscrit aux banlieues des grandes villes. C’est ce qu’illustre bien le documentaire : des cas existent dans les établissements scolaires des beaux quartiers. Dans le mécanisme d’entrée dans la prostitution, les fragilités individuelles ont un rôle majeur. Les réseaux sociaux, fenêtres sur l’intimité des individus, permettent de repérer et recruter les potentielles victimes, notamment des personnes déjà  dans des pratiques prostitutionnelles sur Internet. Ces outils agrandissent considérablement le terrain d’action des « recruteurs ». Ces derniers décrivent à  leurs victimes un business auquel elles seraient « associées », en faisant miroiter de fortes sommes d’argent. Certaines savent qu’il s’agit de prostitution ; à  d’autres on dit qu’il ne s’agit que de « passer une soirée avec un homme ». Une fois seule avec le « client », difficile de reculer, d’autant que la victime peut être menacée, sous la pression du groupe, alcoolisée ou droguée.
La suite, le film en parle aussi : les filles risquent d’être vendues à  d’autres proxénètes mieux organisés.

Recevez nos derniers articles par e-mail !
Lettres d'information
Recevez nos derniers articles par e-mail !
S'abonner

Des jeunes sans perspectives, habitué.e.s à  la violence

Les délégations du Mouvement du Nid, familières de ces situations, font les mêmes constats que pour les autres « formes » de prostitution : les victimes sont très fragilisées au préalable, souffrant d’une « mauvaise réputation », de difficultés d’estime de soi! Elles sont isolées, en conflit avec leur famille, ou placées en foyers. Toutes ressentent une absence de perspectives et rêvent d’un avenir meilleur, comme ceux présentés dans les émissions de télé-réalité. Il faut aussi comprendre le mécanisme de la résignation : comment dire non à  un clan de quatre ou cinq garçons, auprès desquels on s’est souvent déjà  endettée ? Comment se convaincre que ce que l’on vit n’est pas normal lorsqu’on a déjà  vécu des violences ?

Des moyens très insuffisants

La sexualité basée sur le plaisir est impensable : leur information sur le sujet se résume aux clips hypersexualisés et à  l’exploitation sexuelle filmée (pornographie). Les services de la protection de l’Enfance ou de la Justice – Unité Éducative de Milieu Ouvert (UEMO) notamment –, avec lesquels le Mouvement du Nid travaille, et qui suivent victimes et commanditaires (parfois même leurs « clients » qui sont aussi très jeunes), commencent à  prendre la mesure du phénomène. Mais les situations connues restent floues, et il est très difficile d’avoir une prise sur ces jeunes qui ne placent aucun espoir dans les dispositifs très insuffisants qu’on leur propose. De quels outils disposons-nous pour faire face à  ces défis ? En Ile-de-France, toutes associations confondues, nous comptons moins de dix animateurs/trices spécialisés salariés sur la prévention de la prostitution. Il n’existe aucune structure spécialisée pour les mineur.e.s prostitué.e.s. Les moyens de la Protection de l’Enfance diminuent, tandis que le nombre de mineur.e.s pris en charge augmente. L’écho donné à  Jeunesse à  vendre nous aidera-t-il à  changer la donne ?