Nadia : « Le X, c’est des viols à répétition, c’est inhumain. »

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Orientée sur une délégation du Mouvement du Nid [1] par la police judiciaire dans le cadre d’une affaire de proxénétisme et de traite des êtres humains, Nadia a livré le récit féroce des années qu’elle a passées dans la pornographie. Prostituée mais aussi star du X, ce qu’elle dénonce n’est sans doute que le début d’une longue mise à jour…

Il y a moins d’un an que j’ai arrêté la prostitution. Les types continuent de m’appeler, je les envoie bouler. La porno, ça fait trois ans. J’ai aussi arrêté de fumer ; j’ai fumé pendant 27 ans.

Je suis de culture musulmane. Ma mère m’a eue à 16 ans et à 18, j’ai été placée en foyer mais mon beau-père revenait me chercher et il me battait. J’ai été violée à répétition entre mes 8 ans et mes 10 ans par un homme de ma famille et deux de ses amis. Je sais bien que ma vie a basculé à cause de ça.

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Il y a une dizaine d’années, j’ai été repérée par un photographe dans un Salon de l’Erotisme où j’étais allée acheter des sous-vêtements. J’avais travaillé chez Beate Uhse dans un sex-shop, je n’étais pas choquée.

Après, j’ai travaillé pour toutes les grandes productions françaises et pas mal d’américaines. Je faisais tous les salons importants. J’ai représenté la France à celui de Berlin et je devais même aller à Las Vegas.

Un monde d’escrocs

Tout se fait au noir. Rien n’est jamais déclaré alors qu’on nous jure le contraire. Il faut se lever à 4h du matin pour traverser la moitié de la France, arriver sur les lieux de tournage à 6, dans des maisons, des appartements, des garages…

Quand le tournage est payé 400€ (450€ pour la double pénétration) et que le TGV coùte 350€ aller/retour, on se fait bien avoir. Encore plus si on est payée une seule fois pour deux scènes. On n’a pas de notes de frais. Tout coùte cher, les sous-vêtements, la coiffure, le maquillage, les repas (c’est très rare d’avoir à manger sur un tournage !) et tout est à notre charge.

Il y a de faux agents qui prennent un pourcentage ; des boîtes qui obligent les filles à se faire refaire les seins parce que ça fait vendre. On leur avance le fric mais elles doivent rembourser. Rien n’est gratuit.

Les producteurs m’avaient fait miroiter 25.000€ par mois ! Ils m’avaient dit que je travaillerais chez moi, par webcam. J’ai acheté exprès un ordinateur à 2000€ et bizarrement on me l’a volé.

Quand je faisais des dédicaces dans les salons, je touchais 3€ par DVD vendu. Et je me cachais le temps des inspections de la brigade de répression du travail au noir.

Les contrats, on nous les fait toujours signer à la fin des tournages, en vitesse, en nous remettant notre enveloppe : tout en espèces. En dix ans, jamais je n’ai eu un double. En fait, en signant, je n’ai pas réalisé que je vendais mon image pour 99 ans. C’est indiqué dans les contrats : sur tout support, magazines porno, DVD, Internet… Je me retrouve sur des sites pour lesquels je n’ai jamais travaillé. Si on tape mon nom, il y a cinquante pages sur Internet.

On est toujours mise devant le fait accompli. C’est un milieu très dur. On essaie de vous isoler ; moi j’en parlais à ma mère (elle m’a dit tu es assez grande pour savoir ce que tu fais) et à mes copines. Entre les filles, c’est la compétition, la concurrence et même les vols.

Les actrices sont beaucoup de jeunes filles célibataires avec des enfants à charge. Il faut vraiment avoir faim pour supporter ce qu’on nous fait.

Le téléphone n’arrête jamais, il n’y a pas un jour sans appel. On n’a jamais de recul, jamais le temps de réfléchir. Tout se passe bien tant que vous fermez votre gueule ; si vous l’ouvrez, on ne vous appelle plus.

On a des fans. Ils nous suivent partout, en France, en Belgique, dans tous les salons. Au début, c’est grisant. Etre désirée. Et puis, en dix ans, j’ai vu l’escalade. Il y a eu l’explosion du “gonzo [2]” et des performances. Il fallait encaisser de plus en plus.

Un mental de fer

Moi, la “beurette”, j’étais la seule arabe. Le porno est un milieu fermé et très raciste. Mais il utilise toutes sortes de femmes, j’en ai même vu une de 200 kilos, et il réunit toutes les perversions imaginables. Quand on se rebelle, on nous dit : Il y a de la demande.

Il y a ce qu’on appelle le “gonzo” : on prend des coups très violents, on se fait cracher dessus, tirer par les cheveux. J’ai tourné comme seule femme avec 35 types. Tous masqués. J’ai eu la peau brùlée par le sperme… J’ai vu des godes démesurés, trois fois le diamètre d’une bouteille. Un producteur m’a obligée à mettre le pied d’un type dans mon sexe et à lui enfiler une capote. Un autre m’a uriné dans la bouche alors que je lui faisais une fellation.

J’avais dit : pas de scato, pas d’uro, pas de zoophilie. Il a fallu que je me batte sans arrêt. J’ai connu une fille qui s’est suicidée après avoir tourné des scènes avec un chien. Le truc tournait sur Internet. Elle avait 18 ans.

Et puis il y a la cocaïne. Tout le monde en prend. On nous en propose gratuitement pour rester mince… Une actrice m’a mise en garde. A un moment, j’en ai pris, mais j’ai arrêté au bout de trois mois. En plus de la coke, tous les hardeurs se shootent au Viagra et se font des piqùres dans la verge. Ce qu’on subit est d’autant plus violent ; des fois, c’est un carnage. Beaucoup de hardeurs aiment le sexe et sont fiers de leur image virile.

Pour tenir, il faut le voir comme une performance sportive. On appelle ça performeuse d’ailleurs. Pour ne pas se suicider, il faut un mental de fer. Même les salons… Il faut tenir de 14h à 4h du matin sur des talons de 12 cm, faire des photos, des shows, aguicher les types. C’est épuisant.

Je ne pouvais pas flancher, j’avais ma fille. Je me souviens que même un lendemain de viol, j’ai traversé la France en train pour être avec elle à 9h du matin.

J’avais une grande gueule, sinon au m’aurait écrasée. J’exigeais des préservatifs par exemple. Les producteurs demandent des tests HIV, j’en faisais toutes les semaines. Mais je me souviens d’une fille pleine de coke sur qui tous les types de la soirée sont passés sans capote.

Un jour, un réalisateur m’a expliqué que si on me violait, le mieux c’était de ne rien dire pour que ça ne tourne pas encore plus mal. Justement, j’ai été violée juste après, j’ai trouvé ça troublant.Retour ligne manuel
Après un tournage, on m’avait donné rendez-vous dans une boîte échangiste. Il y avait 22 types qui m’attendaient. Je suis restée passive, pour que ça aille vite. Après j’ai porté plainte mais j’ai mis fin à la procédure parce que les déplacements étaient à mes frais. En plus, le juge m’a dit : Mais vous avez demandé que les hommes mettent une capote ? Vous étiez donc consentante ? Retour ligne manuel
On décourage les gens de demander justice.

Lors de mon viol collectif dans cette boîte, chaque mec devait payer une bouteille de champagne. La bonne affaire… Dans les salons, l’entrée peut être à 25€ et la bouteille de champagne à 50. Le racket est partout. C’est un milieu de voleurs.

Il y a des liens entre la prostitution, la pornographie et les milieux échangistes. Les rendez-vous de prostitution se prennent couramment sur les lieux de tournage. L’un des producteurs pour lesquels j’ai travaillé a été condamné pour proxénétisme sur sa femme. Ceux qui avaient organisé mon viol par les 22 types dans la boîte échangiste ont été jugés aussi, parce qu’il y avait une mineure.

Star du X, un argument de vente pour la prostitution

Un jour j’ai vu une émission de télé sur la prostitution. Ca m’a donné l’idée d’essayer. J’y suis allée en jean baskets. C’était occasionnel, je n’avais pas de mac mais je payais 600€ à deux équatoriennes pour travailler dans leur appart. Elles bossaient H24, sept jours sur sept, pour envoyer de l’argent en Équateur et en Espagne. Elles dépensaient une fortune en Botox et en frais d’esthétique.

Une fois, j’ai passé une semaine dans un bar en Belgique. Il fallait refiler 70% au tôlier. J’ai vu des mineures, des droguées… Je suis vite retournée au trottoir.

Dans la prostitution, je me suis aperçue que d’être actrice porno était ma meilleure pub. Les clients m’avaient vue dans les films. Pour eux, j’étais une hardeuse professionnelle, une vraie chienne, pas une vénale. En parlant des autres, ils disaient Elle, elle a un mac ; tandis que toi t’aimes ça, je le vois dans tes films.Retour ligne manuel
Je ne disais rien, il ne faut jamais dire la vérité, ne pas trahir le secret. Sinon on perd tout.

Très jeune, j’ai compris qu’avec le sexe, j’aurais du pouvoir sur les hommes. Le père de ma fille, tout ce qu’il voulait c’était du sexe. Quand j’ai été enceinte, il a voulu que j’avorte. Le type avec lequel j’ai vécu trois ans, et qui me faisait croire qu’il m’épouserait, c’était juste un sex addict [3]. Chez les clients, il y en a beaucoup. J’en ai vu qui venaient deux fois par semaine, et même tous les jours, à 100€ la passe ! Et j’ai vu des types débourser jusqu’à 750€ par mois pour être abonnés à des sites porno.

Les clients viennent demander ce qu’ils ont vu dans les films. Les pires c’est les jeunes, ils veulent du hard, de la sodomie. Ils prennent des substances pour que ça dure plus longtemps.

Ces hommes, ils ont tout le temps besoin qu’on les rassure, qu’on leur dise c’était super !. Je suis tombée sur des drogués, des violeurs. Je me souviens d’un qui m’a expliqué qu’il avait déjà violé une prostituée ; il disait qu’il était devenu fou à force de payer la même fille ; il avait compris qu’elle n’en voulait qu’à son fric. Il y en avait un autre qui voulait que je l’étouffe avec un sac plastique. Dans ces cas là, je savais que j’avais affaire à quelqu’un qui pouvait me tuer.


Pour tenir, il faut être capable de rester stoïque. Dans la prostitution comme la porno, il ne faut jamais montrer de faiblesse.

Dans la prostitution, ce qui est dur aussi, c’est le regard des autres. Quand on essaie de vous embarquer dans le porno, on vous fait croire que c’est plus chic. En réalité, nos orifices sont vendus pour 99 ans, c’est pire.

Quand j’étais dans la prostitution, je claquais tout. Je gagnais 100, je dépensais 200. J’avais besoin de sortir, de décompresser. On ne choisit pas d’être pute. Pendant trois ans, j’ai arrêté parce que j’avais trouvé un type qui m’entretenait.

Et puis en 2014, j’ai pété un câble. J’ai acheté deux boites de Xanax et une corde pour me pendre. Mais avec le Xanax, je me suis seulement évanouie. J’ai écrit à ma fille un message : Je suis une pute. Je l’avais abandonnée, elle était devenue pupille de l’Etat. Après j’ai paniqué : elle ne va plus m’aimer…

Un esclavage “moderne”

Ce qui m’a fait arrêter tout ça, c’est que j’ai eu un pneumocoque. J’ai passé deux mois à l’hôpital dont un mois dans le coma : ça m’a permis de sortir du cercle vicieux.

Maintenant, je réalise que la pornographie, c’est de l’esclavage moderne. J’ai été vraiment humiliée. A côté, j’ai trouvé que dans la prostitution il y avait au moins des hommes gentils ; j’ai été violée une seule fois et je n’ai pas été torturée. Le X, c’est des viols à répétition, c’est inhumain. Dans une journée de prostitution, j’ai pu avoir 11 hommes au maximum. En quelques heures de porno, 35. Et dans la prostitution, je n’ai pas vendu mon image.

Aujourd’hui je suis enceinte et je vis avec 800 euros par mois. J’ai une pension d’adulte handicapé suite à des problèmes psychiatriques. Quand tout est payé, il me reste 5€ par jour. Je voudrais tant que ma fille ait tout ; qu’elle puisse aller à Nice et à Disneyland ! Elle a 14 ans et je veux absolument la récupérer. Mais il faut que je me batte devant les tribunaux pour faire effacer mon image d’actrice porno et de prostituée. Il faut voir l’accueil par la police et la justice ; on en prend plein la gueule.

Avec le Mouvement du Nid, nous avons entamé une procédure pour récupérer mon droit à l’image. Toutes les boites de production ont été menacées de poursuites judiciaires. Jusqu’ici, les femmes qui ont essayé ont fini par laisser tomber ; les producteurs leur ont donné de l’argent.

Il faut dire aux jeunes de ne pas s’identifier aux acteurs porno. Ce n’est pas la réalité. Et surtout dire aux filles que c’est un milieu de requins ! Je n’aurais pas voulu que ma fille tombe là-dedans, qu’elle se fasse embrigader. J’ai souvent tenté de dissuader les jeunes filles que j’ai rencontrées. Il y en a qui travaillent gratuitement dans le porno dans l’espoir de devenir actrices… Mais dans les salons, celles qui venaient me demander comment faire pour tourner, je ne pouvais pas leur dire, faites attention !

On est fragile dans ce monde là. Ça peut très mal finir. J’aurais pu devenir une loque. Je pourrais être morte. Aujourd’hui je n’aspire plus qu’à une vie normale, à un travail normal. Mais quand on a été prostituée et star du X, on porte un fardeau.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.