Deux cents éluEs en colère

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TRIBUNE – Dans un appel publié dans le Journal du Dimanche le 12 octobre 2014, Anne Hidalgo, Johanna Rolland, Roland Ries, Jean Rottner, Serge Grouard et 200 autres maires et conseillers municipaux de tous bords demandent une adoption rapide de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

Le système prostitutionnel est un défi majeur au coeur de la cité. Souvent appréhendé d’abord sous l’angle de l’ordre public, il met en lumière des enjeux bien plus vastes : implantation au sein de nos territoires de réseaux criminels internationaux, exploitation des populations les plus vulnérables, manifestation publique des violences et discriminations, atteinte à l’égalité femmes-hommes.

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A cet égard, il est frappant de noter que lorsqu’un échange approfondi s’engage avec les riverains des lieux de prostitution, leurs préoccupations dépassent bien souvent les seules problématiques de préservation de la tranquillité publique. Au-delà de leurs inquiétudes légitimes, relatives par exemple, au bruit produit par le ballet incessant de voitures de clients dans certains quartiers, ou au danger que peut représenter le stationnement de camionnettes en bordures de routes nationales très fréquentées, ou encore au désagrément de retrouver au petit matin devant sa porte de nombreux préservatifs usagés, les riverains nous interpellent sur le sort des personnes prostituées et les multiples atteintes à leur intégrité et dignité ainsi que sur le défi que la prostitution fait peser sur le vivre-ensemble.

Comment éduquer nos enfants dans l’égalité entre filles et garçons si les hommes peuvent exploiter la précarité des femmes pour leur imposer un acte sexuel par l’argent?

Que répondre à nos enfants parfois directement exposés à cette violence sociale et qui nous demandent qui sont ces personnes prostituées?

Comment accepter que toute femme de passage sur un lieu de prostitution puisse être confrontée à la question : « C’est combien? »

Comment expliquer qu’à peine un réseau démantelé par la justice, de nouvelles personnes soient exploitées sur les mêmes lieux?

Que fait l’Etat pour aider ces personnes prostituées, souvent très jeunes et d’origine étrangère, dont la détresse est évidente?

Face à ces interpellations, nous affirmons que seule une politique publique globale et cohérente permet de répondre durablement aux enjeux posés par la prostitution et la traite des êtres humains. A l’heure où la prostitution est mondialisée et où les réseaux proxénètes se jouent des territoires et des législations, aucune commune n’est en mesure d’apporter seule une réponse satisfaisante.

C’est pourquoi nous nous rassemblons aujourd’hui autour de deux convictions :

1- La prostitution est d’abord une exploitation des plus vulnérables, une violence et un obstacle à l’égalité qu’il convient de faire reculer tout en protégeant mieux ses victimes.

2- Seule une articulation accrue des différents niveaux de compétence (locales et nationales) et une coopération renforcée entre collectivités (de même compétences) permettra d’apporter une réponse cohérente à la complexité des enjeux prostitutionnels.

Dans ce contexte, nous saluons l’adoption par l’Assemblée nationale, à une large majorité, d’une proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel et esquissant, pour la première fois en France, les contours d’une politique publique globale et cohérente autour de quatre axes complémentaires et indissociables :

1- Le renforcement de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains.

2- La mise en place d’une véritable politique de soutien aux victimes du proxénétisme et de développement d’alternatives à la prostitution.

3- La pénalisation de tout achat d’un acte sexuel afin de sanctionner la violence d’actes sexuels imposés par l’argent et l’abus de situations de précarité et d’engager le recul du phénomène prostitutionnel en France.

4- Le développement d’une politique d’éducation, de prévention auprès des jeunes, et de formation des professionnels.

La commission spéciale au Sénat en charge d’examiner le texte issu de l’Assemblée nationale a terminé ses travaux. Nous engageons à présent les sénateur-ice-s à adopter rapidement un texte équivalent, ou renforcé, à celui adopté à une large majorité par l’Assemblée nationale.

Si nous saluons ce nouvel élan donné à l’engagement abolitionniste de la France, nous rappelons aussi que sa mise en oeuvre nécessitera des moyens et une volonté politique de la décliner concrètement sur les territoires en partenariat étroit avec les collectivités locales.

A cet égard, nous affirmons ici notre engagement à prendre part à cette nouvelle dynamique et à favoriser la mise en place d’une réflexion nationale permettant d’identifier, sur la base de nos compétences propres, les leviers d’actions et les besoins des communes pour répondre à ce défi majeur.

En conclusion, les élu-e-s que nous sommes continueront à prendre leurs responsabilités et à agir face à une des pires formes d’exploitation des plus vulnérables et exigent de pouvoir le faire dans le cadre de nouvelles politiques publiques globales et cohérentes telles que dessinées par la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, pour laquelle nous appelons solennellement les sénateur-ice-s à se mobiliser.

Les maires et conseiller-e-s municipaux pour l’adoption du texte renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

INTERVIEW

Anne Hidalgo : « L’abolition de la prostitution est un défi de société »

source : http://www.lejdd.fr/Societe/Hidalgo-L-abolition-de-la-prostitution-est-un-defi-de-societe-693698

  • Pourquoi avez-vous cosigné cette tribune demandant l’abolition de la prostitution?
    La prostitution est un système d’exploitation des plus vulnérables. Et une profonde atteinte à l’égalité femmes-hommes. Je veux affirmer ma volonté de lutter contre les réseaux mafieux et assurer à leurs victimes protection et soutien. L’objet de la tribune est de défendre une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, dont le ­calendrier semble prendre du retard. Un retard que les signataires, élus locaux pour la plupart, n’acceptent pas. Je souhaite soutenir l’engagement abolitionniste de la France.
  • Est-ce réaliste? Peut-on abolir le « plus vieux métier du monde »?
    C’est un défi de société! Le sort des personnes victimes de la prostitution est inacceptable. Les prostitués sont toujours victimes, des réseaux ou de leur passé. Ce n’est pas un métier au sens où l’on devrait y être attaché comme à un élément patrimonial de l’humanité. C’est aussi une question de démocratie : la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle sont contraires aux valeurs républicaines. Je ne suis pas fataliste, je refuse de considérer qu’on ne peut rien changer sous prétexte qu’un système d’exploitation a toujours existé.
  • La loi prévoit déjà des outils pour lutter contre le proxénétisme ou la traite des êtres humains. C’est insuffisant?
    Ce nouveau plan national renforce la lutte contre la traite des êtres humains, le soutien aux ­actions de prévention et l’accompagnement des victimes. Je souhaite qu’il se concrétise également par des moyens pour les services de police et de justice dont le travail est souvent long et complexe.
  • Quelles sont les spécificités parisiennes en matière de prostitution?
    La traite des femmes nigérianes me préoccupe depuis de nombreuses années : elles représentent plus de la moitié des femmes étrangères qui sont prostituées à Paris. La banalisation de la prostitution chez les jeunes, lycéens et étudiants, est aussi un phénomène particulièrement alarmant, sans être pour autant spécifique à Paris.
  • Que fait la Ville?
    La Ville de Paris lutte avec ses partenaires institutionnels contre les réseaux mafieux, notamment dans le cadre du contrat parisien de sécurité. C’est un engagement volontaire qui va au-delà de ses compétences. Elle soutient aussi financièrement le secteur associatif qui conduit des actions de prévention auprès des jeunes et vient en aide aux victimes : réinsertion professionnelle, accès aux soins, mise à l’abri… Nous avons un partenariat exemplaire avec l’hôpital Sainte-Anne et l’Amicale du Nid qui leur permet de bénéficier d’un suivi psychiatrique. Mais seule une politique globale, déclinée à tous les niveaux de responsabilité, peut répondre à la complexité des enjeux de la prostitution.