Pour toi Sandra

4042

L’objectif était délicat : tout en informant sur un sujet grave, qui reste tabou, il s’agissait d’écrire une “bonne” bande-dessinée, offrant une histoire actuelle, pleine de suspense, portée par des personnages marquants.

Derib a relevé le défi. Après Jo, bande dessinée destinée à informer sur la prévention du sida, Pour toi Sandra donne vie à une adolescente traquée par un réseau de prostitution.

Un récit fort, porté par deux beaux portraits de femmes

La bande dessinée tourne autour d’un petit nombre de personnages. Sandra, adolescente un peu paumée, fuit une mère peureuse et sans autorité, à qui elle n’a jamais su se confier. Elle pense découvrir en la personne du séduisant Michaël l’homme en qui elle pourra enfin placer toute sa confiance, tout son besoin d’amour.

Annonce

Michaël, un type brutal, vivant d’expédients, qui sait comme personne alterner les claques et les cadeaux d’amoureux transi. Tout son art consiste à faire miroiter un avenir meilleur, à coups de “potes friqués” et d’invitations répétées, de beaux appartements en villa avec piscine…

Doris, responsable d’achat dans la confection, un fils, un compagnon. Sa rencontre avec Sandra fait renaître en elle le souvenir d’une période qu’elle a cru pouvoir oublier. C’est en lâchant la vérité à cette dernière qu’elle pourra enfin commencer à s’en délivrer, son expérience devenant alors positive puisqu’elle prend valeur d’exemple et sauve Sandra d’un destin qui semblait tout tracé.

L’auteur aurait pu se contenter de conter de manière linéaire l’itinéraire d’une jeune fille. Son choix a été plus subtil : entrecroiser deux histoires, les parcours de deux femmes que le hasard vient à mettre en présence. L’une, Sandra, sur le point de tomber aux mains de proxénètes, l’autre, Doris, vivant avec le souvenir douloureux de sa propre adolescence passée dans la prostitution. Une construction en écho, un double éclairage, qui permet au scénario d’explorer l’expérience même de la prostitution, autant que son “avant” et son “après”.

Derib réussit le prodige de ne pas parler de prostitution, de ne pas la montrer pendant la moitié de l’album. Elle n’apparaîtra qu’avec la prise de conscience de Sandra, parallèle au récit de Doris. Pour toi Sandra évite ainsi les écueils du voyeurisme et de la violence tout en peignant avec réalisme l’expérience de la prostitution : en écoutant les paroles d’anciennes personnes prostituées, l’auteur a puisé dans leur vie les éléments de la fiction.

C’est tout le talent de Derib d’avoir réussi une histoire palpitante, aussi riche en informations vraies. Rien, dans le scénario de Pour toi Sandra, n’est exagéré pour les besoins de la cause; tout, dans le dessin, affermit cette volonté de vérité.

Pour toi Sandra : un succès mérité

En 1997, un an seulement après la sortie de Pour toi Sandra, la bande-dessinée est déjà diffusée à plus de 140 000 exemplaires, ce qui en fait un succès d’édition incontestable : elle compte parmi les 10 bandes-dessinées les plus demandées cette année-là.

Dans ce même laps de temps, plus de 120 articles de presse et un vingtaine d’émissions de radio et de télévision ont salué la qualité de Pour toi Sandra.

Les librairies ont su également favoriser le succès de la bande-dessinée en organisant des présentations thématiques et interactives; le réseau Citrouille, dynamique association de librairies jeunesse, recommande chaudement Pour toi Sandra dans sa revue professionnelle.

Aujourd’hui Pour toi Sandra a servi de matériau à des dizaines d’actions de prévention et d’information auprès de la jeunesse. La bande-dessinée est disponible en anglais, en allemand, en néerlandais, en italien et en espagnol.

Article précédentLa parole empêchée, la parole retrouvée
Article suivantAppoline : « Pour ne pas avoir vécu «tout ça» pour rien »
Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.