Rhône : une répression et une précarisation accrue

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Notre délégation du Rhône, qui a rencontré environ 600 personnes prostituées au fil de 2013, nous alerte sur la dégradation de leurs conditions d’existence. Exploitées, précarisés, mises en danger par des « clients » cyniques, abandonnées des pouvoirs publics… elles endurent des préjudices tant physiques que psychiques.

Nous ouvrons avec les personnes prostituées un moment d’échange à leur convenance, sans raison utilitaire. Nous attribuons à la rencontre ainsi dépouillée une efficacité en soi. Centrée sur la personne, à son écoute, elle est une reconnaissance de sa valeur. Elle signifie que la personne mérite, à elle seule, le déplacement et le temps passé avec elle. Elle lui renvoie l’image d’une personne aimable et respectable, image qui peut être le déclencheur d’un autre projet de vie. De plus, il y a là une gratuité qui renverse la logique marchande dominant tous les rapports prostitutionnels. Environ 600 personnes ont été rencontrées en 2013.

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Ces rencontres sont un temps de confidence. Nous y entendons ce qui, au-delà des sourires ou des déclarations convenus, est réellement vécu dans la prostitution : le parcours de la personne, les causes enfouies de sa situation, et en filigrane, la souffrance et les aspirations à autre chose. Nous approchons, modestement, la réalité profonde de la prostitution, loin des idéologies. Cette rencontre est la première source de nos activités et de notre pensée.

Les zones de Lyon où les personnes installent leur camionnette sont interdites de stationnement depuis longtemps, mais 2013 a connu une politique de répression très pressante : fréquentes mises à la fourrière, bouclage du quartier et surveillance par hélicoptère, plusieurs passages de verbalisation par nuit : verbalisation, même dans les parkings autorisés, le jour, en dehors de toute activité prostitutionnelle, des véhicules repérés comme destinés, la nuit, à la prostitution. Dans ces zones, des appels à la police par des personnes prostituées agressées sont restés sans réponse ; une intervention de pompiers pour personnes blessées a même subi une tentative d’empêchement par la police.

Le nombre des camionnettes a diminué ; c’est moins le cas le week-end où l’on rencontre des personnes venues de plusieurs centaines de kilomètres pour les 2 jours. Les personnes originaires d’Afrique subsaharienne francophone sont aujourd’hui plus rares; il est difficile de dire ce qu’elles sont devenues. Certaines ont gagné d’autres villes de la région ou louent leur camion à une population d’une autre origine (Guinée équatoriale, Nigéria).

Ces personnes ont cédé la place à des Équato-guinéennes venant d’Espagne, qui s’installent aussi sur les routes. Les très jeunes femmes sont nombreuses parmi elles. Souvent mère d’un enfant, mais pas toujours. Il est évident qu’elles s’activent pour des tiers.

Les zones de ville autrefois dédiées aux camionnettes des Africaines sont occupées par des personnes à pied, Nigérianes ou Roumaines et Bulgares. Nous voyons arriver de nouvelles personnes d’Europe de l’Est ou du Nigéria, passées auparavant par l’Espagne ou l’Italie : ça ne marche plus là-bas, nous disent-elles, ou il n’y a pas de travail.
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Tout indique une précarisation croissante de cette population, immigrée d’Europe de l’Est ou secondairement d’Espagne ou d’Italie, qui a peu de moyens de s’insérer en France (langue, relations, revenus), qui tente de survivre dans des conditions de logement et d’alimentation extrêmement précaires (beaucoup vivent dans leur camion). C’est une population pressée par la faim et/ou contrainte par l’exploitation proxénète (de proximité ou de grande envergure), sans doute plus qu’il y a quelques années.

Cette précarisation dévaste l’état psychique et physique des personnes. Inquiètes pour leur survie et celle de leur famille (beaucoup ont des enfants à charge), elles prennent de nouveaux risques : présence toute la nuit malgré les agressions, actes sans préservatifs (de plus en plus demandés, en connaissance des difficultés, par des « clients » cyniques), acceptation de « clients » ordinairement refusés.

Le climat est à l’inquiétude, à la colère, et au sentiment d’injustice face à une société qui les méprise.