« Faire prendre conscience que la prostitution est une violence »

818

Le Mouvement du Nid est l’une des associations à l’origine de la nouvelle loi contre la prostitution, approuvée début décembre par l’Assemblée nationale. Une occasion de faire le point, avec l’antenne mulhousienne, sur la situation locale et sur ce que cette loi pourrait changer.

Les médias se sont focalisés sur la pénalisation des clients mais il y a 39 autres mesures dans la loi , souligne d’emblée Karine Batail. La responsable de l’antenne mulhousienne du mouvement du Nid, rencontrée en pleine préparation d’une petite fête de Noël avec les protégées de l’association, affiche naturellement sa satisfaction sur cette nouvelle loi approuvée début décembre par l’Assemblée nationale -mais qui doit encore être examinée par le Sénat. L’objectif de cette loi, c’est de faire prendre conscience aux gens qui ont recours à la prostitution que c’est une violence, les faire réaliser qu’en face d’eux, ils ont un être humain, pas une marchandise… C’est aussi un message envoyé aux jeunes, qu’ils sachent que ce n’est pas légal.

Annonce

On est très content que cette loi soit votée car elle donne des critères clairs sur ce qu’est la prostitution, renchérit Laurent Schneider, bénévole au Nid depuis plus de 20 ans. Elle souligne que le corps des femmes n’est pas une marchandise. À partir de là, la fin de la prostitution peut-être envisagée.

Les femmes pourront s’appuyer sur la loi pour porter plainte contre les clients violents

Les militants du Nid ont des contacts réguliers avec les personnes prostituées. Beaucoup de femmes ne se prononcent pas sur la loi, constate Karine Batail. La pénalisation des clients, ça leur complique la vie. D’ailleurs, depuis que cette question est en débat, elles ont constaté une baisse de fréquentation, les clients ont peur.

La plupart d’entre elles sont ambivalentes, ajoute Laurent Schneider, on sent bien que ce qui les embête, c’est la question des revenus. Certaines disent que ce n’est pas normal de pénaliser le client…

En réalité, on sait très bien que la police ne va pas mettre un agent derrière chaque client, note Karine Batail. Mais nous, on peut expliquer aux femmes prostituées qu’elles pourront s’appuyer sur la loi pour porter plainte contre un client violent. Alors qu’actuellement, elles peuvent s’entendre dire que c’est les risques du métier…

Au-delà de la pénalisation des clients (qui seront passibles d’une amende de 1500 €), le Nid se réjouit surtout que la loi supprime le délit de racolage passif instauré en 2003. C’est l’élément n° 1 , souligne Karine Batail. À Mulhouse, si les premières années ce racolage passif n’était guère réprimé, début 2012, le périmètre d’interdiction de la prostitution dans le centre-ville a été élargi. Et les filles sont verbalisées. Du coup, la prostitution s’est déplacée vers de grandes artères à la périphérie du centre : boulevard Stoessel, boulevard Wallach, rue de Bâle, avenue d’Altkirch, à la Fonderie juste devant la clinique… La nouvelle loi changera-t-elle cette situation ? Supprimer le délit de racolage, c’est changer le statut des personnes prostituées qui, de délinquantes, deviennent victimes.

Victimes des réseaux internationaux de proxénétisme pour la plupart d’entre elles. À Mulhouse comme ailleurs, la majorité des prostituées dans la rue sont en effet des étrangères (lire ci-dessous). La nouvelle loi est un message envoyé aux réseaux. La France ne sera plus un pays intéressant pour eux…, souligne Karine Batail. En Allemagne, a contrario, la loi de 2002 légalisant le travail du sexe, officiellement pour améliorer la situation sociale des prostituées, a fait exploser leur nombre, qui serait passé en dix ans de 80 000 à au moins 400 000 personnes. Et on estime qu’un homme sur deux serait client.

L a prostitution est considérée comme un métier comme un autre et l’on ne se préoccupe plus des femmes… Or, seulement 3,5 % d’entre elles seraient officiellement déclarées, note Karine Batail. Pour elle, ce chiffre montre que les personnes qui se prostituent volontairement sont très minoritaires. À Mulhouse, je n’en ai connu que deux qui se revendiquaient libres, souligne Laurent Schneider. L’une d’elles est morte d’un cancer il y a deux ans, à l’âge de 60 ans. On a alors appris que celui qu’elle présentait comme son ami était en fait son mac…

Majoritairement étrangères

En un an, les membres du Nid ont rencontré 140 personnes qui se prostituent dans la rue à Mulhouse (chiffre 2012). Parmi elles, cinq ou six travestis ou transidentitaires, mais surtout des femmes dont la majorité sont étrangères : Camerounaises, Roumaines, Tchèques, Bulgares et Albanaises pour l’essentiel. Les Françaises sont de moins en moins nombreuses. Longtemps, elles représentaient un tiers des filles, ce n’est plus le cas, explique Karine Batail. Les Roumaines sont hyper jeunes mais la police a vérifié leurs papiers et officiellement, elles sont toutes majeures. Officiellement… En revanche, les Françaises sont les anciennes, âgées de plus de 50 ans. La doyenne a 76 ans : Ses clients sont des habitués.

Les autres Françaises que l’on rencontre sont des occasionnelles, note Laurent Schneider. Fort de sa longue expérience de bénévole au Nid, ce dernier constate que la prostitution de rue a augmenté sur le long terme à Mulhouse. Il y a 25 ans, on comptait 80-90 personnes dans la rue, pas 140… Reste un domaine sur lequel le Nid n’a pas de prise : la prostitution par internet. En 2009, nous avions essayé de contacter ces personnes par mail ou SMS, relate Karine Batail. Nous avions eu très peu de réponses. À l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, on nous a expliqué qu’il y avait souvent des réseaux derrière.

Aide et écoute

La délégation mulhousienne du Nid compte une salariée permanente, Karine Batail, et 14 bénévoles – dont deux hommes. Quatre nouvelles personnes viennent juste d’intégrer l’équipe. Le Nid dispose d’un local au 31 avenue Clemenceau, où il propose des permanences deux fois par semaine, les lundis et jeudis après-midi. Les personnes viennent quand elles ont besoin de quelque chose. Souvent au départ, c’est un besoin dans le domaine de la santé, on leur sert d’intermédiaire, car elles ne parlent pas toujours bien le français , explique Karine Batail. Chaque vendredi soir, en binôme, les membres du Nid vont au contact direct avec les personnes dans la rue, ainsi que régulièrement, l’après-midi. Le Nid accompagne également les femmes qui souhaitent s’en sortir dans leur parcours de réinsertion. Elles sont actuellement une dizaine dans ce cas. Mais c’est un très long parcours, ce sont des femmes qui sont cassées. On estime qu’elles ont des syndromes post-traumatiques équivalents à ceux des vétérans de la guerre du Vietnam.

Paroles

Le Nid a recueilli les témoignages de six femmes âgées de 19 à 35 ans ayant vécu la prostitution. Leurs paroles ont été rendues publiques à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre 2013.

  • En quoi la prostitution est-elle une violence ?

Je me suis prostituée parce que je suis en France, sans parents, personne, pour manger, il faut bien coucher quelque part, vivre, payer, avoir de l’argent, je ne vole pas, alors je me prostitue. La violence vient par le client, tu n’acceptes pas, il te fait l’amour et n’importe quoi. Faire l’amour sans sentiment, c’est violent, donner son corps à une personne que tu ne connais pas, accepter l’autre dans son corps, ce n’est pas facile, je me fais violence à moi…

Quand je me prostitue, je pense que je vais mourir, il y a une très grande peur […] On est obligé de faire quelque chose qu’on ne veut pas, d’aller avec tous les hommes, je ne les choisis pas, c’est un viol, c’est dégoûtant, dégueulasse.

Il y a des filles qui meurent sous les coups des clients et des proxénètes, j’ai été menacée avec des armes, les clients, ils payent, tu es obligée de te prostituer, tu n’as pas le choix, c’est très difficile à vivre. Les enfants posent des questions, quoi répondre ?

Des fois, tu peux te sentir comme une merde, obligée de faire des choses comme le client veut, si tu n’es pas d’accord, il te sort un couteau… Normalement, tu n’as pas envie d’aller avec le client, tu fermes les yeux, parfois tu te sens bien, ils te disent que tu es belle, tu penses dans ta tête que c’est un ami, ce n’est pas tout à fait ça, mais c’est mieux que tu croies cela, et puis il y en a qui veulent simplement parler…

  • Qu’est-ce qui aide à sortir de la prostitution ?

Pouvoir parler, retrouver la confiance, parler de son histoire, avoir de la compréhension, avoir aussi des activités pour sortir, ne plus vivre dans la peur, être sécurisé, retrouver le respect […] Avoir des papiers et du travail, avoir une vie normale, être stable, recommencer une belle vie…

  • Et qu’est-ce qu’il faudrait faire pour que la prostitution disparaisse ?

Que la police intervienne contre les réseaux de prostitution, interdise les trafics des êtres humains. Les responsables politiques peuvent faire quelque chose. Prendre conscience que les femmes sont maltraitées et agressées dans la prostitution.