Euro 2008 : match vraiment nul

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La fête continue. Nous épinglions dans notre dernier numéro la brochure publiée par l’association Cabiria, Cher client[ [.], florilège de conseils douceâtres et obséquieux adressés aux prostitueurs en même temps que véritable révélateur des réalités immondes qui constituent le quotidien de la prostitution.

Et voilà qu’est arrivé, en Suisse, l’Euro 2008, nouvelle grande fête virile. Et avec lui les campagnes « Euro 2008 contre la traite des femmes » et autres « Carton rouge à la prostitution forcée« . Associations, parlementaires, tout le monde est désormais scandalisé que ce type d’événements sportif « génère une augmentation inacceptable de la prostitution forcée« .

L’Aide suisse contre le sida a même distribué, à l’occasion des matchs, des cartes inventoriant les « règles à respecter » avec les prostituées. L’association exhorte les « clients potentiels » ayant « envie de sexe« , à « se comporter de façon responsable« .

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Responsable. Le mot est lâché. Que signifie-t-il pour le « client » ? Réponse : dire bonjour, payer cash, se laver, ne pas arriver bourré. Pas par altruisme, vertu qui ne semble pas faire partie de sa panoplie : « La consommation d’alcool est déconseillée, car elle diminue la libido. Moins on boit, plus on prend son pied« . On ne saurait être plus clair.

Reste le sujet délicat du moment, la traite et la « prostitution forcée« . Le « client » est invité à ouvrir l’œil et le bon : si la prostituée « travaille contre son gré ou sous pression« , il est prié de s’adresser à l’un des services d’aide accessibles en ligne. En bref, elle sourit ? Elle est contente. Elle fait grise mine, malgré les prouesses sexuelles du sportif en goguette? C’ est sùrement qu’elle a un proxo pas commode. Un conseil simple dans un monde simple. Et une nouvelle race de prostitueur : le prétendu sauveur, qu’il va bientôt falloir médailler, comme les proxénètes aux mines d’enfants de chœur des pays où la prostitution est légalisée, qui jurent de collaborer avec la police pour bouter l’affreuse traite loin de leurs purs établissements.

Du fantasme, toujours du fantasme. Celui de l’entente cordiale entre ces « clients » et les personnes qu’ils payent. On fait semblant d’ignorer l’essentiel : ce que la plupart des prostitueurs viennent acheter, c’est précisément l’irresponsabilité. Un billet et j’ai tous les droits. Surtout celui d’oublier les valeurs élémentaires, le souci d’autrui. Notre enquête[[« Le processus du devenir-client« , Mouvement du Nid / IFAR, 2004.]] a montré avec quelle énergie, quelle mauvaise foi aussi, les « clients » cherchent à justifier leur comportement. « Quand je mange un bifteck, je ne me demande pas si la vache a souffert« [[« Les clients« , documentaire d’Hubert Dubois et Elsa Brunet, 2005.]], dit un « client » interrogé sur le risque d’exploiter une victime de la traite.

Quant aux personnes prostituées, nous savons, nous, qu’elles mettent toute leur rage à simuler et se dissimuler. À garder la face. Pour que les « clients », que pour la plupart elles méprisent, ignorent tout d’elles. La prostitution n’est rien d’autre que le lieu de la tromperie et du mensonge.

On peut dormir tranquille. Les prostitueurs ne vont pas devenir plus responsables. Ils vont se délecter de la proprette légitimité que leur offrent sur un plateau nos défenseurs des droits humains dont la conscience s’arrête décidément à la porte des bordels. À défaut de faire quoi que ce soit contre la traite, ils donnent un sérieux coup de pouce au bon vieux droit du supporter et de ses semblables: celui de se payer une femme comme on prend une bière, à la fin d’un match. Pour se défouler.

La prostitution sacrée loisir moderne et décomplexé. Le résultat ? Des avenues ouvertes aux trafiquants qui recrutent une marchandise toujours plus « fraîche » dans les régions les plus exsangues.

Voilà ce qu’il reste, au moment de communier autour d’un ballon, du formidable travail effectué lors du Mondial 2006[[Le manifeste de la CATW (Coalition contre la Traite des femmes), Acheter du sexe n’est pas un sport, a recueilli 150 000 signatures.]] ainsi que des textes internationaux sur la traite[[Protocole de Palerme, Convention de Varsovie, etc.]] qui appellent tous à « décourager« , voire « supprimer » la demande, cause majeure de la traite. Il est temps de prendre les mesures qui s’imposent.

« Responsabiliser » les « clients » ? On voit ce qu’un tel projet contient d’insuffisance et de complaisance. Seule la Suède a su en 1999 voter une loi cohérente et politiquement responsable. On n’achète pas le corps d’autrui, même avec son consentement. Cette exigence éthique, vraie révolution culturelle, est la seule digne de nos démocraties. Avant, pendant et après les matchs.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.