Fier·es d’être abolitionnistes !

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Pour rajeunir cette séculaire exploitation qu’est la prostitution, ses défenseurs, favorables à la légalisation des « métiers » de prostituée et de proxénète, ont su construire un discours idéologique l’assimilant à la modernité et à l’émancipation et renvoyant toute critique du côté de l’ordre moral.
Voici un échantillon des arguments destinés à discréditer la parole des abolitionnistes… assorti de nos réponses.

L’abolitionnisme caricaturé

Réponses à nos détracteurs

Vous voulez interdire la prostitution.

Annonce

L’abolitionnisme n’a jamais voulu interdire la prostitution. Il a toujours considéré le prohibitionnisme comme une hypocrisie et affirmé son refus des mesures discriminatoires infligées aux personnes prostituées.

C’est bien davantage le réglementarisme, pourtant présenté aujourd’hui sous un jour libertaire ou « tolérant », qui induit un système policier. Il prétend en effet contrôler et poursuivre toutes celles – l’immense majorité, comme le prouvent les expériences allemandes et néerlandaises – qui refusent de se faire enregistrer.
C’est lui qui, en légalisant la prostitution prétendument libre au nom du pragmatisme et de la lutte contre la traite, aboutit en réalité à traquer les étrangères en situation irrégulière et à les vouer à l’expulsion.

Vous ne connaissez que la prostitution sordide des trottoirs.

De plus en plus, les personnes prostituées qui s’adressent à nous sont issues des bars à hôtesses, des salons de massage ou de la prostitution par Internet, y compris des escorts girls. Prostitution étudiante, prostitution « de luxe », prostitution masculine ou transgenre, il n’est guère de forme de prostitution qui nous soit inconnue. Les témoignages que nous publions le prouvent d’ailleurs largement.

L’abolitionnisme est une forme de racisme.

Une nouvelle étape dans l’escalade verbale de certains groupuscules de défense de la prostitution.
À notre tour, alors, de nous étonner que ces accusateurs ferment les yeux sur la dimension profondément sexiste et raciste de cette institution, toujours prête à monnayer le corps des femmes les plus vulnérables, partout sur la planète ; en priorité celles appartenant aux pays les plus pauvres et aux minorités ethniques.

Quoi de plus rentable que la pauvreté pour ce marché prêt à offrir aux plus aisés le pouvoir de payer ce que d’autres sont condamnés à monnayer pour survivre ?

Quoi de plus affriolant que les stéréotypes colonialistes (Africaines « folles de sexe« , Latino-américaines « faites pour ça« , Asiatiques « si soumises« …) qui sont un puissant moteur pour encourager la « consommation » ?

Nos pourfendeurs ont l’indignation sélective.

Vous parlez d’abolir la prostitution. En fait, vous voulez abolir les prostituées.

Nous serions soupçonnés, puisque nous refusons la prostitution, de vouloir supprimer les personnes prostituées. Depuis quand ceux qui ont lutté pour l’abolition du travail des enfants ont-ils été accusés d’être contre les enfants?

Il s’agit une nouvelle fois d’entretenir la confusion. Notre combat contre la prostitution n’a jamais été un combat contre les personnes prostituées que le Mouvement du Nid écoute et accompagne quotidiennement. Nous sommes pour les personnes prostituées, et à leurs côtés, mais contre la prostitution.

En refusant de reconnaître la profession des personnes prostituées, c’est vous qui exercez des violences à leur égard. Vous êtes la cause du stigmate qui pèse sur elles.

En dénonçant la prostitution, la chosification qu’elle induit, nous serions les responsables de la violence ou du stigmate qui pèsent sur les personnes prostituées ! On est là pour le moins dans la confusion entre la lune et le doigt qui la montre.

Loin d’être notre fait, le stigmate n’est-il pas plutôt renforcé par les réglementaristes qui, en instituant l’obligation d’inscription en échange d’un « contrat de travail », aboutissent en réalité à étiqueter les personnes en tant que « travailleuses du sexe » — ce que refusent d’ailleurs la majorité des personnes prostituées ?

En refusant une légalisation du métier qui achèverait de déculpabiliser l’opinion publique et de la renvoyer à son indifférence, nous affirmons notre souci de leur itinéraire, des logiques qui les ont amenées à la prostitution, et notre refus de leur marquage et de leur parcage, quelles qu’en soient les formes. Chacune d’entre elles a droit à un autre avenir, dispose d’autres compétences.

Oui, l’abolitionnisme est une exigence : le contraire d’une résignation qui s’orne un peu facilement de l’alibi du « pragmatisme », valeur refuge de ceux qui ont perdu tout espoir de changer la société dans le sens de plus de justice.

Vous parlez à la place des personnes prostituées.

Le Mouvement du Nid part au contraire de la parole des personnes prostituées, entendue chaque jour sur les lieux de prostitution ou dans les permanences d’accueil. C’est bien à partir de leur expérience, marquée par une violence omniprésente, qu’il a conçu sa critique de fond du système prostitutionnel.
Le Mouvement du Nid sait à quel point l’immense majorité d’entre elles est privée de parole, paralysée par la honte et le mépris qui socialement ne pèsent que sur elles.

La parole de quelques privilégiés, qui vantent la libéralisation du « marché » et s’arrogent le droit de parler au nom de toutes, aujourd’hui largement relayée par les médias, est bien accueillie par l’opinion puisqu’elle évite tout questionnement, toute culpabilisation et qu’elle se situe dans la logique de l’individualisme et du profit.

Utilisée politiquement par les pro-prostitution, cette parole émotionnelle, érigée en vérité ultime, est destinée à nous intimider. Il faut certes l’entendre.
Mais est-il interdit de se demander si ces personnes ont vraiment la possibilité de pousser l’analyse au-delà de la justification, bien compréhensible au plan individuel, de ce qui reste leur gagne-pain ? En ce qui nous concerne, nous luttons pour donner la parole à celle qui ne la prennent jamais.

Vous êtes des tenants de l’ordre moral. Vous êtes contre la liberté sexuelle.

Notre combat est au contraire un combat pour la liberté. Il porte contre la logique d’une société qui propose comme idéal la consommation des objets et d’autrui, et impose la marchandisation de toutes les sphères de nos vies : santé, éducation, culture et désormais êtres humains.

Loin de vouloir rétablir une police des mœurs, nous luttons contre cette marchandisation croissante à laquelle une prétendue liberté sexuelle sert aujourd’hui de moteur. Seul ce combat sera garant de la liberté de toutes et de tous de disposer de leur corps et de leur sexualité, sans êtres contraints de les mettre sur le marché pour survivre.

Nous sommes contre une liberté qui n’est que celle des plus puissants, qui s’exerce d’abord sur les plus en détresse.
Ce que nous combattons n’est pas la liberté sexuelle mais bien sa liquidation au nom du libre-échange et sa récupération par le contrat marchand.
Jamais nous n’intervenons sur la sexualité des personnes dans leur vie privée. Mais la prostitution ne relève pas de la vie privée : il s’agit d’un commerce, d’un marché, d’une institution sociale et c’est cet ensemble que nous remettons en cause. On cherche à nous enfermer dans des questions de morale afin d’éviter que soit abordée la vraie dimension du débat, qui est fondamentalement politique.

Lire également :

Rhéa Jean, philosophe : « Être abolitionniste, c’est défendre la liberté sexuelle ! »

Vos idées sur la prostitution et la pornographie rejoignent celles de l’extrême droite, vous êtes des cathos intégristes.

Notre association est issue du christianisme social, qui dès le 19e siècle a mené un combat en faveur de la classe ouvrière ou contre le travail des enfants. Notre souci est la justice sociale. Si nous luttons contre la banalisation du discours pornographique et de la prostitution, c’est d’abord par respect des droits humains face à toutes les machines d’oppression.

Notre projet est égalitaire et fondé sur le refus de la marchandisation des personnes. L’extrême droite condamne la pornographie ? Peut-être. Mais tout comme être contre l’intervention américaine en Irak, comme Jean-Marie Le Pen, ne suffit pas à faire de vous un allié du Front National, nous sommes aux antipodes des « valeurs » défendues par l’extrême droite. Cette dernière ne rejette pas tant la prostitution que les personnes prostituées, qu’elle méprise profondément. Quant à nous, notre souci d’égalité des personnes et d’émancipation des femmes suffit à faire de nous les adversaires résolus des intégristes, qui partout sur la planète montrent quotidiennement en quelle estime ils les tiennent.

Ajoutons que l’Anela, le syndicat des tenanciers des nouveaux bordels de Catalogne, si modernes, si exemplaires, a été fondé par un avocat qui n’est autre que le président d’un parti d’extrême-droite…
En France, le programme de 2001 du Front national prône le contrôle médical et sanitaire des personnes prostituées, une mesure éminemment réglementariste.

Vous stigmatisez les clients, vous voulez les dénoncer sur la place publique.

Nous refusons toute méthode consistant à publier le nom ou l’image d’un homme qui recourt à la prostitution, tout esprit de vindicte. En revanche, nous exigeons d’en finir avec la complaisance sociale qui autorise ces hommes, en toute indifférence, irresponsabilité et mépris, à exploiter sexuellement des personnes dont ils ignorent tout.

« Quand je mange un bifteck, je ne me demande pas si la vache a souffert » répond un client au réalisateur de documentaires Hubert Dubois, qui l’interroge sur les prostituées victimes de la traite.

Tout est dit. N’est-il pas temps pour ces hommes d’assumer leurs responsabilités ainsi que l’exigent d’ailleurs les textes internationaux ? Leur comportement nuit à autrui, il a des conséquences sociales. C’est à leur profit que les proxénètes et les trafiquants organisent, par tous les moyens, le « marché ». Peuvent-ils continuer à l’ignorer ?

Vous voulez « civiliser la sexualité masculine », vous avez une conception normative de la sexualité.

L’aveu serait-il dans l’accusation ? Serait-ce qu’elle ne l’est pas, « civilisée » ? Nous souhaitons en tout cas interroger cette croyance désuète ­ et normative, précisément ­ voulant qu’une société ne puisse fonctionner qu’à la condition de fournir à sa partie masculine des exutoires sexuels.

Nous questionnons l’idée universellement admise d’un désir prédateur, d’une sexualité violente, d’une pulsion prétendument irrépressible qui autoriserait l’exploitation d’autrui. Quand Robert Badinter plaide pour excuser « les pulsions obscures qui gouvernent la sexualité« , nous rappelons quant à nous que les violeurs aussi ont longtemps bénéficié de l’indulgence sociale parce qu’ils auraient été les victimes de ces « pulsions »… Ajoutons en outre que les clients prostitueurs ne sont pas tous les hommes mais des hommes qui n’ont pas encore évolué dans leur rapport aux femmes.

Vous victimisez les personnes prostituées.

Il est dans l’air du temps de déplacer l’attention, non sur les faits dénoncés, mais sur ceux qui les dénoncent, accusés des pires maux, surtout s’il s’agit de violences touchant aux questions sexuelles, décidément dérangeantes.
Et ainsi de censurer nos dénonciations.

Ces accusations soulèvent plusieurs questions : pourquoi ne dit-on pas de ceux qui luttent contre le racisme qu’ils victimisent les personnes qui le subissent ? Faut-il s’abstenir de dénoncer les violences conjugales pour ne pas « victimiser » les femmes concernées ? Pourquoi le mot de victime est-il devenu péjoratif et honteux ?

L’abolitionnisme considère les personnes prostituées, non comme des êtres incapables, mais comme les victimes d’un système d’exploitation. Ce fait n’enlève rien à leur énergie, leur résistance, leurs capacités. Beaucoup de celles que nous rencontrons ont besoin d’être reconnues comme victimes, elles qui se sentent tellement coupables, afin de pouvoir se reconstruire. Elles ne sont pas pour autant à enfermer dans le seul statut de victimes réduites à leur oppression.

En cherchant à nous intimider, on nous empêche surtout de dénoncer les logiques qui produisent des rapports de domination comme le système prostitutionnel. Et on maintient le statu quo sur les violences, les exploitations, les humiliations qui en font le quotidien. Pour le plus grand profit des proxénètes et le « bon plaisir » des clients.

Vous mélangez la prostitution et la traite, ce qui aboutit à dénier aux femmes étrangères le droit à la migration.

La traite a toujours été l’un des canaux d’approvisionnement de la prostitution. Aujourd’hui, c’est pour des raisons politiques – pour libéraliser le marché de la prétendue prostitution libre – que le lien a été soigneusement rompu entre prostitution et traite.

Tant que la prostitution sera légitimée, les trafiquants s’emploieront pourtant à pourvoir le « marché » et à renouveler la « marchandise » offerte, toujours plus jeune et plus exotique. Les politiques anti-traite, qui peuvent aboutir à réduire les libertés migratoires, ne sont pas de notre fait. L’idée d’une Europe forteresse fermée aux plus démunis n’est pas la nôtre. Mais nous ne saurions nous satisfaire d’un droit à la migration qui se révèlerait en réalité un « droit » à l’esclavagisme sexuel accordé aux nantis.

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Traite : les non-dits d’un consensus

Vous êtes les complices de la loi Sarkozy (LSI).

Nous avons toujours affirmé, et réaffirmé, notre opposition totale à toute mesure de répression des personnes prostituées. Pour nous, la répression – et la prévention – doivent porter sur les bénéficiaires du système : ceux qui en tirent un profit financier, les proxénètes et profiteurs, et ceux qui assouvissent leurs pulsions sexuelles et de domination, les « clients » qu’il nous semble plus juste d’appeler les prostitueurs. En aucun cas, sur celles et ceux qu’une forme ou une autre de détresse, de précarité ou de vulnérabilité (sociale, économique, culturelle, psychologique, ethnique) a amenés à la prostitution.

En vous attaquant aux clients, vous voulez priver les personnes prostituées de leurs revenus.

Il n’est pas de profond changement social sans tournants douloureux. La fin de l’apartheid a engendré la faillite pour certains commerçants noirs, privés d’une clientèle devenue libre de fréquenter les commerces blancs. Faut-il pour autant regretter l’abolition?
À une autre échelle, les débitants de tabac se plaignent de la baisse des ventes de cigarettes. Faut-il alors ré-encourager la consommation du tabac?

Ces exemples montrent que le problème n’est pas dans la lutte contre des phénomènes nocifs mais bien dans l’insuffisance de préparation qui l’accompagne et dans l’abandon des personnes concernées.

La pénalisation des clients prostitueurs n’est qu’un volet d’un ensemble de mesures. Précisément, nous refusons une politique qui abandonnerait les personnes prostituées à leur sort, sans souci de leur avenir. Il n’est pas question de penser un projet global de prévention sans l’assortir de mesures concrètes concernant celles et ceux qui vivent jusqu’ici des revenus de la prostitution.

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Vous refusez aux personnes prostituées les droits les plus élémentaires sur le plan de l’hygiène, de la sécurité et de la santé.

Hygiène, sécurité, santé, telle est la trilogie des nouveaux marchands de femmes. Les lobbys de tenanciers (Catalogne par exemple) avancent ces arguments pour « moderniser » leur archaïque commerce : vigiles et signaux d’alarme, serviettes propres et examens médicaux obligatoires suffiraient à régler définitivement tout problème de conscience.

Outre le fait que la densité des sonnettes d’alarme est l’aveu le plus cru de la dangerosité de l’activité, il faut rappeler que les clients prostitueurs, qu’il s’agit de ne pas effaroucher, sont exemptés, eux, de tout contrôle sanitaire.

Le client est roi. Qu’importe le fait qu’il puisse être porteur du VIH, payer plus cher pour une passe sans préservatif et contaminer la personne qu’il utilise. Ce cas de figure n’est pas consigné dans la présentation flatteuse de nos nouveaux rois du marketing.
Qu’importe que les tenanciers eux-mêmes exercent des pressions sur leurs recrues pour des passes non protégées et des cadences effroyables… La majorité des personnes prostituées que nous rencontrons sont farouchement hostiles au prétendu « confort » de ces établissements dont elles redoutent la logique carcérale.

Le credo des pro-prostitution
L’arme des mots et des concepts, décryptage

L’arme des mots est au cœur de l’offensive néo-réglementariste. Leur choix contribue à construire la perception de la réalité (service, métier, choix…). Il relève d’objectifs politiques précis.

Une première étape, dans les années 1990, a abouti, sous l’impulsion politique des Pays-Bas, à banaliser les termes de « prostitution forcée », ouvrant la voie à la prostitution « libre », et de « travail du sexe », entérinant la normalisation de la prostitution comme secteur de l’économie.

Nous ne vendons pas notre corps, nous vendons un service et rien de plus.

Un simple service, vraiment ? Si le « service sexuel » est équivalent au service soignant ou au service domestique, il faut en tirer les conséquences et rayer définitivement les acquis liés aux décennies de luttes menées par les femmes pour ne plus voir leur droit à l’emploi inséparable du droit de cuissage pour leur employeur. Les défenseurs de la prostitution comme métier ordinaire cautionnent en réalité le retour au droit à l’exploitation sexuelle.
Quelle secrétaire, quelle ouvrière, quelle infirmière pourra encore refuser d’offrir des services sexuels dans le cadre de son emploi si ces derniers deviennent un service parmi d’autres, un métier banal et reconnu ?

C’est un métier comme un autre : on se vend toujours plus ou moins, que l’on soit ouvrière ou prostituée.

Tout acte commercial n’est pas un acte de prostitution. Le penser est le fait de nantis qui ne savent plus ce que les mots veulent dire. Qui est prêt à soutenir qu’une fellation à un inconnu est l’équivalent de la frappe d’un ticket de caisse ?

Il est vrai que l’on peut être largement exploité dans de multiples activités marquées par la précarité et la sous-rémunération. Le système marchand capitaliste n’hésite pas à exiger aliénation de soi et « objetisation » croissante. Ces faits ne dédouanent en rien la prostitution qui n’est que cette logique portée à son point extrême. Comment lutter encore contre le travail précaire et aliénant si l’on accepte que la prostitution devienne « un travail comme un autre » ?

Certaines prostituées ont choisi de l’être, en toute connaissance de cause.

Le choix est ici une notion sans objet. On peut aussi « choisir » d’aller travailler dans les mines ou d’émigrer dans les pires conditions pour survivre.

Si les personnes prostituées expriment un choix, celui-ci est contraint par leurs besoins financiers et n’a rien à voir avec une quelconque autonomie sexuelle. Le concept de « choix » a surtout pour but, en détournant l’attention sur la seule dimension individuelle, d’occulter l’ensemble du système prostitutionnel, ses causes réelles (sociales, culturelles, politiques) et son impact sur les rapports sociaux et les mentalités.

La prostitution, ce n’est pas pire que le mariage. Les violences sont partout.

Certes, le mariage a longtemps été une institution d’oppression pour les femmes. Il peut encore l’être lorsqu’il est le cadre de violences. Mais la comparaison est surtout destinée à déqualifier et banaliser ces violences au lieu de les combattre. Or, nulle part elles n’atteignent un degré aussi insupportable que dans la prostitution : injures, humiliations, harcèlement, agressions, viols, meurtres… Il est pour le moins excessif aujourd’hui d’entretenir la confusion.

Le mariage a cessé d’être le lieu d’enfermement qu’il était traditionnellement, la preuve en est la reconnaissance du divorce et du viol conjugal. Rappelons également un « détail » : la sexualité dans le mariage peut être désirée et réciproque ! On ne peut pas en dire autant de la prostitution.

Beaucoup d’entre nous sont libres. Nous n’avons pas toutes un proxénète.

Toutes, non. Mais les faits sont têtus. Et les proxénètes sont de plus en plus difficiles à identifier à l’heure où ils n’ont plus le veston à carreaux cher au cinéma des années 50. Rois du camouflage, ils ont su s’adapter : responsable de site Internet, compagnon monnayant sa présence attentive, dealer, patron-ne de bar, manager en costume cravate… L’argent de la prostitution continue d’attirer les profiteurs de tout poil. Et l’endettement organisé, et le racket… sont des données qui résistent à toutes les évolutions.

La reconnaissance de notre profession nous rendra notre dignité.

La revendication d’un statut, d’une profession est d’abord le moyen trouvé par des personnes stigmatisées, de croire conquérir dignité et solidarité. On peut comprendre ce légitime besoin de reconnaissance. Mais la question est mal posée.

En réalité, la « dignité » engendrée par la normalisation de la prostitution servira les proxénètes et leur industrie ; pas les personnes prostituées, définitivement stigmatisées, parquées en ghettos, en tant que « travailleuses du sexe ». Les personnes prostituées sont dignes, l’institution prostitutionnelle est indigne.

L’escalade

Aujourd’hui, une autre étape est franchie avec une nouvelle génération de mots et de concepts.

Fières d’être putes

Retourner le stigmate en fierté : on a observé ce mouvement chez les homosexuels, illustré par la parade de la Gay pride. La « Pute Pride » prend le relais. Puisque les homosexuels ont acquis leur droit à la reconnaissance de l’homosexualité, les prostituées gagneraient celui d’exercer un « métier » injustement stigmatisé.

Le rapprochement est audacieux. L’homosexualité d’une personne relève de sa vie privée et ne fait aucun tort à autrui. La prostitution est un commerce porteur de profits considérables, bien souvent organisé par des proxénètes et des trafiquants, où s’exercent des violences de toutes sortes. L’habile confusion avec le combat d’une autre catégorie d’opprimés sert surtout à endormir toute velléité de critique.

Putophobie

Qui s’avise de dénoncer la prostitution et de s’opposer à sa légalisation est désormais taxé de « putophobe ». A l’oreille, la putophobie sonne comme l’homophobie. Stratégie de l’amalgame, volonté d’intimidation, exercice d’une totale malhonnêteté mais procédé efficace auprès des personnes mal informées. La « putophobie » est un tour de passe-passe idéologique créé dans le but de discréditer et faire taire celles et ceux qui qui refusent la banalisation de l’industrie du sexe.

Mouvements pro-sexe

Pro-commerce, pro-profits, serait plus juste. Mais le choix du terme « pro-sexe », plus vendeur, a l’avantage de renvoyer les opposants au statut d’anti-sexe, de gens coincés, boutonnés jusqu’au menton. Il y aurait d’un côté de joyeux hédonistes, et de l’autre, de tristes moralistes éteints.
Comme si, sur un tout autre registre, se battre contre la malbouffe revenait à être un triste sire qui déteste les plaisirs de la table…

L’abolitionnisme, une idée progressiste

La prostitution serait naturelle, intemporelle, éternelle, entend-on également… Elle ne mérite pourtant pas cet excès d’honneur. La prostitution n’est rien d’autre qu’un produit de la culture, une expression de l’inégalité et du réflexe qui pousse le plus puissant à exploiter le plus faible. Elle est certes ancienne, mais l’ancienneté suffit-elle à conférer une légitimité ? L’excision aussi est une pratique ancienne. Tout comme « l’infériorité » des femmes, presque partout dans le monde. Faut-il donc renoncer à faire évoluer les idées ? Est-il illusoire de vouloir inventer de nouvelles formes de vivre ensemble, de construire des valeurs nouvelles ?

C’est toute la raison d’être de l’abolitionnisme, idée moderne, humaniste et progressiste. Depuis sa création, il y a plus d’un siècle, l’abolitionnisme s’inscrit dans la lutte pour le respect des droits humains. Il a été activement soutenu par ses plus ardents défenseurs, Jean Jaurès et Victor Hugo. Il est également inséparable du combat des femmes pour l’égalité. On devrait se souvenir de la concomitance du droit de vote féminin (1944) et la fermeture des maisons closes (1946)…
Aujourd’hui, le texte majeur de l’abolitionnisme, la Convention internationale pour la répression de la traite et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (1949), subit une destruction orchestrée par les lobbys réglementaristes pressés d’ouvrir la voie aux profits immenses liés à la prostitution.

Ce texte, adopté dans une période éprise de liberté et de dignité, celle de l’après-nazisme, abolissait toute réglementation, toute discrimination à l’égard des personnes prostituées et faisait peser toute la répression sur les proxénètes et les organisateurs de la prostitution.
Aujourd’hui, la régression est en marche. De grands états européens légitiment le prétendu « travail du sexe » et les revenus de ses puissants managers en costume-cravate. La prostitution est en passe de devenir, dans l’indifférence générale, un métier possible dans le cadre du « service public ».

Face à ce cynisme libéral qui semble devenir le seul horizon de la pensée, nous ne baisserons pas les bras. Les abolitionnistes se sont battus pour en finir avec la réglementation de la prostitution. Ils continueront pour refuser la prostitution elle-même, un archaïsme indigne de nos démocraties.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.