Mme H. : je vis avec peu mais je suis fière de moi.

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Mme H. a porté plainte contre une femme et son conjoint qui géraient trois instituts de massage dans lesquels elle a été exploitée.

J’ai quitté mon pays en 2020, avec mes deux enfants de 14 et 9 ans, après que ma fille a été victime d’une agression sexuelle par un homme en 2019. Le jugement l’a condamné à quatre ans d’emprisonnement. Comme mon mari souhaitait imposer des règles rigides à ma fille comme le port du voile que je désapprouvais, nous avons divorcé. 

Nous sommes arrivés en France en février 2020.
À mon arrivée, sans papiers, j’ai rencontré un compatriote qui m’a présenté une gérante de salon de massage. Au départ, cette femme, R., m’a embauchée pour faire le ménage chez elle ou dans l’un de ses salons. Puis elle m’a posé des questions qui auraient dû m’alerter : mes mensurations de poitrine, la taille de mes vêtements. Sur le moment, je ne m’étais pas posée de questions. J’ai été bien naïve.
Quelques jours plus tard, elle m’a conduite dans son salon de massage et m’a enfermée dans une cabine avec un homme. J’avais quinze minutes pour le masser. Comme je n’avais pas de papiers et que je devais nourrir mes enfants, je l’ai fait. Ensuite, cette gérante m’a présenté à B., un ami à elle, formateur en massages. Au bout de 20 jours environ, R. m’a demandé de pratiquer des massages « avec finition ». 

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Elle me disait d’employer le terme « lâcher prise » : le client pouvait toucher le corps de la masseuse qui, de son côté, devait le masturber. En revanche, je ne voulais pas faire de fellations. Comme je refusais de le faire, R. m’a répondu que j’allais m’habituer. Les clients ne venant au salon que pour ce genre de prestations, elle m’a menacée de me virer si je refusais. 

Il fallait que je travaille pour nourrir mes enfants.
Au bout d’un mois, je l’ai vue nue sous un peignoir asiatique rouge, mais je n’ai pas compris. Elle m’a proposé plus tard un peignoir similaire, mais je n’en voulais pas.
Les clients étaient toujours nus.
Dans le premier salon de massage, il y avait plusieurs jeunes filles : une Chinoise,Y, qui habitait une autre ville dans le Sud et qui venait dormir au salon pendant quinze jours pour assurer des prestations, même la nuit. 

Puis, il y avait M., une amie de R. qui habitait l’Est de la France et venait également travailler au salon. Je les remplaçais lorsqu’elles étaient absentes. R. y travaillait également. Le salon était composé de deux salles et de la cuisine qui était également utilisée. Chacune d’entre nous trois – Y., M. et moi – nous y travaillions en alternance durant deux semaines. 

R. percevait la moitié du tarif et moi l’autre, tandis que les échanges avec les clients se faisaient par l’application WhatsApp. Je travaillais chaque jour de 10 h à 20 h environ, voire parfois jusqu’à 22 h. Au départ, je devais travailler uniquement le week-end (du samedi au dimanche). Comme je n’avais pas mes papiers, je n’avais pas le choix. Je devais parfois venir quelques heures durant la semaine lorsqu’elle m’appelait. Parfois même, je travaillais 7 jours sur 7. 

C’était des clients réguliers, environ 25 hommes par mois. En une année, je n’ai dû masser qu’une femme. 

Mme H. : J’ai accepté de payer 6 000 euros  

En 2021, R. a cessé pendant un temps de faire appel à moi parce que je n’avais pas mes papiers et qu’elle avait peur des contrôles.

Un jour, elle m’a quand même proposé d’être associée avec elle pour l’ouverture d’un autre salon dans une autre ville. Pour avoir 10 % des parts et pouvoir ainsi bénéficier du titre de séjour « commerçant », j’ai accepté de payer 6 000 euros. 

En réalité, il aurait fallu que je sois associée gérante durant six mois pour obtenir ce titre de séjour, ce qui ne s’est pas produit. Lorsque R. a constaté que je ne voulais pas faire les massages avec finition car j’étais gérante, elle appelait les clients pour leur dire que le salon de massage était fermé. 

En réalité, elle me confiait la gérance d’un des salons pour ne pas être accusée de gérer un réseau de prostitution et de proxénétisme. Comme R. n’avait pas de TPE (terminal de paiement NDLR), les clients payaient uniquement en espèces. R. ne communiquait jamais par SMS ou par téléphone ; uniquement par WhatsApp. Les fiches de paie, les contrats, les appels des clients se faisaient via cette application. 

R. s’occupait de certains clients, dits « VIP », avec qui il fallait tout faire. Elle encaissait l’argent avant la prestation. De notre côté, si nous ne demandions pas l’argent avant ou si le client ne payait pas, R. nous menaçait de payer de notre poche. R. accordait aux clients non satisfaits une nouvelle prestation à tarif réduit, avec une autre masseuse. 

Parfois, elle nous proposait d’aller dans d’autres endroits avec les clients comme des spa privatifs par exemple, mais je refusais. Cela s’est produit plusieurs fois courant janvier 2021. Durant le confinement, en novembre 2020, j’avais une attestation certifiant que je faisais des ménages.

R. s’est pacsée avec un Français, S., avec lequel elle s’était associée, et qu’elle utilisait comme homme de paille pour certains salons. En juin 2021, elle a modifié les statuts pour mettre son nouveau partenaire P. comme nouvel associé. 

R. était déclarée salariée 150 heures par mois en CDI pour pouvoir ensuite percevoir le chômage. 

J’ai déposé plainte avec l’aide du Mouvement du Nid

Avec une autre victime, nous avons demandé à la délégation du Mouvement du Nid de l’aide pour porter plainte pour proxénétisme contre R. et son associé.
La délégation m’a aidée à rédiger mon récit de vie qui a constitué la base de la plainte déposée auprès du 
tribunal correctionnel de la ville.
En racontant mon histoire à la bénévole qui m’a accom
pagnée, j’ai pris conscience que les massages avec finition, c’était de la prostitution ; j’avais été victime de proxénétisme et sous emprise. R. et son associé ont été jugés en janvier 2022 devant la chambre correctionnelle pour proxénétisme aggravé, entre le 1er janvier et le 6 décembre 2021. 

Ils étaient accusés d’avoir fait pression sur une dizaine de masseuses – des jeunes filles qui galéraient dans la vie – pour qu’elles réalisent des actes sexuels auprès des clients dans trois salons de la métropole lilloise. 

La décision a permis la condamnation des deux accusés. R. a écopé de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros ; peine qui a étéMme H. réduite à trois ans, après qu’elle a fait appel du jugement au tribunal de D. 

Son associé a été condamné à quatre ans de prison, dont deux avec sursis, et 20 000 euros d’amende ; comme il avait également fait appel, sa peine a été réduite à un an. Aujourd’hui, il est libre et porte un bracelet électronique. 

Ces deux peines ont été assorties, pour les deux accusés, d’une interdiction de gérer et de porter une arme pendant cinq ans. Des dommages et intérêts nous ont été octroyés, ainsi qu’au Mouvement du Nid qui s’était constitué partie civile. 

Mme R. me devait également

6 000 euros de dommages et intérêts ; somme qui a été diminuée de 2 000 euros, après le procès en appel. Depuis un an, cette femme me doit encore 4 000 euros, somme dont elle ne s’est pas acquittée au motif qu’elle n’a pas d’argent. Je ne dispose d’aucun recours pour pouvoir récupérer cet argent qu’elle me doit.

Étant mère isolée avec deux enfants scolarisés depuis plus de trois ans, j’ai déposé en janvier 2022 une demande de carte de séjour vie privée et familiale. Au bout de neuf mois d’attente, la préfecture m’a délivré un récépissé attestant que j’en avais bien effectué la demande. Pour l’instant, ce récépissé me permet de ne plus être en situation irrégulière ; je peux circuler sur le territoire français, sans risquer d’être en infraction avec la loi. 

Mon avocate avait prévu de déposer un recours pour que je puisse bénéficier d’une autorisation de travailler, mais c’est peine perdue. La loi qui permet aux étrangers d’obtenir, sous certaines conditions, un titre de séjour ne s’accorde pas aux Algérien·nes, conformément à un accord signé entre les deux pays. Aujourd’hui, j’ai deux possibilités, soit ma situation est régularisée soit j’ai obligation de quitter le territoire français. C’est dur d’être en situation irrégulière, de vivre sans papiers. Je voudrais tant exercer un emploi, pouvoir avancer dans la vie ! 

À l’époque où j’effectuais des massages dans son salon, Mme R. disait toujours : « Celui qui me dénonce, je le tuerai ». Elle est sortie de prison en avril 2023 et elle connaît mon adresse. 

Je voulais obtenir des papiers pour pouvoir déménager avant qu’elle ne soit libérée. J’ai prévenu la police que je me sentais menacée. Je vis avec la peur au ventre. Je ne me suis pas encore libérée de toute la haine que je porte à cette femme. De savoir que j’ai été manipulée par elle à l’âge de 33 ans, c’est ça qui me tue. Je n’avais jamais vécu ça. Mais j’étais seule en France, avec deux enfants à charge. C’est dur de reprendre la vie à zéro dans un pays qu’on ne connaît pas. Mes enfants ne se sont jamais doutés que j’étais en galère. Aujourd’hui, je ne peux plus revenir en arrière. Il me faut rester en France. 

Je vis avec peu mais je suis fière de moi. J’ai sauvé beaucoup de femmes. 

 

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Christine Laouénan
Journaliste indépendante et formatrice, Christine Laouénan est spécialisée dans les sujets de la santé et de la prévention auprès des jeunes. Elle a recueilli de nombreux témoignages de personnes prostituées dans le cadre de son travail pour Prostitution et Société et au cours de l’écriture de la biographie Je veux juste qu’elles s’en sortent, consacrée au militant abolitionniste Bernard Lemettre.