Sensibiliser aussi les « clients »

1191

À Lille, le Service de contrôle judiciaire et d’enquête (SCJE) a mis en place deux stages de sensibilisation à la question de la prostitution, avec la délégation du Mouvement du Nid des Hauts-de-France, pour informer les « clients » interpellés sur les conséquences de la prostitution pour les personnes qui la subissent.

Ces stages se sont déroulés dans les locaux du SCJE en février et septembre 2018. Ils durent une journée et demie, avec une semaine d’écart entre les sessions pour permettre de temps de débriefing et de maturation. Ils ont concerné 18 « clients », dont les âges s’échelonnaient de 18 à plus de 90 ans.

Annonce

Certains avaient été interpellées sur des lieux de prostitution, d’autres utilisaient des sites internet spécialisés pour acheter des actes prostitutionnels. La majorité ont une vie de couple et sont bien insérés : ingénieur, étudiant, retraité, comptable, employé, professeur des écoles…

Conçus avec la délégation du Mouvement du Nid des Hauts-de-France, les stages font intervenir une technicienne socio-judiciaire du SCJE, une représentante du procureur, qui en coordonne le déroulement, une femme ayant vécu la prostitution et une psychologue (spécialisation judiciaire). Deux membres du Mouvement du Nid sont présents : une animatrice chargée de prévention de la prostitution et un intervenant homme travaillant sur les outils de prévention et notamment sur la question du « client ».

Le contenu des stages

Il s’agit d’amener les « clients » à réfléchir aux conséquences de leurs actes, aussi bien pour eux que pour les personnes qui sont prostituées. Cette démarche nécessite une bienveillance mutuelle, autant entre les intervenant.e.s et les stagiaires, qu’entre les stagiaires eux-mêmes. La proximité de Lille avec la Belgique, où le proxénétisme est déréglementé et la prostitution, banalisée, rend d’autant plus nécessaire de leur faire prendre conscience d’une réalité qu’ils ne veulent pas voir.

L’équipe a donc privilégié un format propice aux échanges de paroles ; toutes les interventions ont été conçues de façon interactive, en privilégiant l’expression de chacun. Seul le témoignage de la personne ayant connu la prostitution a fait l’objet d’une écoute en continu, suivie d’échanges. Les stagiaires ont été saisis émotionnellement par son parcours et par les conséquences traumatiques, des années après, d’un passage dans la prostitution. La prise de conscience a été forte comme l’ont exprimé les stagiaires à l’issue de l’intervention et à la fin du stage.

Des retours encourageants

Loin de se crisper dans une posture défensive, de se dépeindre eux-mêmes en victimes ou de se réfugier dans une attitude de riposte, les stagiaires ont peu à peu accepté d’interroger leurs propres pratiques.

Cette démarche constructive nous conforte dans la pertinence de notre approche qui évite le rapport accusatoire pour tendre vers le fonctionnement d’un groupe de parole : cela permet à l’ensemble des stagiaires de bénéficier d’éléments amenés par les autres participants, qui expriment leur malaise voire souffrance personnelle.

Les stagiaires découvrent qu’il est possible d’aborder la question de la sexualité avec d’autres, de mettre des mots sur un mal être, d’en rechercher les causes, d’explorer des pistes pour vivre une sexualité qui ne se fasse pas au détriment d’autres personnes. Pour une majorité des stagiaires, c’était la première fois qu’ils abordaient le sujet de leur sexualité. Ils parlent de pratiques sexuelles, des désirs des femmes, de l’estime d’eux-mêmes, du vide affectif, du manque d’assurance, du manque d’amour. La plupart des personnes apprécient qu’il y ait des groupes de parole.

Le témoignage de Laurence Noëlle, qui a vécu à 17 ans une situation de prostitution, semble déterminant dans la prise de conscience des « clients ». Avant de l’entendre, les stagiaires n’avaient aucune vision de la réalité de la prosti- tution sous l’angle de la personne prostituée.

Certains stagiaires ont exprimé l’envie de poursuivre dans une démarche de thérapie en se faisant accompagner. D’autres ont affirmé avoir pris conscience de la gravité de leurs actes.

Quelques témoignages

Les clients n’aident pas les filles en leur donnant de l’argent. On les enfonce. J’ai pris une claque en venant aujourd’hui.

J’étais en colère, j’en voulais beaucoup à la police puis j’ai réfléchi. J’étais en colère contre moi. Je ne voudrais pas que cela (être prostituée) arrive à mes proches.

Le fait de reconnaître que j’étais client a permis à la justice de prouver qu’il y avait bien de la prostitution. Cela a permis de faire arrêter le proxénète.

Le stage c’est bien plus constructif que de faire payer 1 500 euros. Et c’est plus sensible. Je suis content, j’ai parlé de ma vie.

L’apport du Mouvement du Nid aux stages « clients »

La peine encourue pour l’achat d’un acte sexuel est une amende pouvant aller jusqu’à 1 500 €. Elle peut être complétée d’un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels (Art. 131-16 du Code Pénal).

Si notre priorité en terme d’énergie et de temps est évidemment donnée aux personnes prostituées, notre engagement contre le système prostitueur nous conduit à participer à ces stages sur la base de notre connaissance de terrain du système prostitutionnel.

Plusieurs délégations départementales participent à leur mise en œuvre en lien avec le Parquet et une association de contrôle judiciaire. Ainsi la coordination régionale Île-de-France a formé l’APCARS qui met en œuvre ces stages en région parisienne, et les délégations du Haut-Rhin, des Hauts-de-France et du Rhône participent à l’organisation des stages sur leurs départements.